siens : deux ans après sa mort, l’Armada était détruite ; trois ans plus tard, la Reine des fées avait paru et Juliette, les yeux en pleurs, venait s’accouder sur son balcon.
Ses œuvres sont dignes de sa vie ; il eut le temps, dans ce peu d’années, d’embrasser d’un clair et bienveillant regard, toutes les beautés antiques, modernes ou lointaines, qui firent battre les cœurs de ses contemporains et il est, pour cela, le plus digne peut-être des précurseurs immédiats de Shakspeare. L’éclat des Espagnols l’enchante, et il traduit des fragmens de Montemayor; les fêtes de Kenilworth l’amusent, et il compose une mascarade, la Dame de mai, pour servir à des fêtes semblables ; chrétien sincère, il traduit les Psaumes de David ; cœur tendre et passionné, il rime les sonnets d’Astrophel à Stella; épris de chevalerie et de hauts faits, il écrit, au courant de la plume, son Arcadie; amoureux de belle littérature, il défend l’art des poètes dans un plaidoyer charmant de jeunesse, vibrant d’enthousiasme, qui tient dans la littérature anglaise la place remplie par la Lettre à l’Académie dans la nôtre. Cet ouvrage a une grande importance pour le sujet qui nous occupe, non-seulement parce que Sidney y donne son sentiment sur les ouvrages de fiction en général ; mais parce que voici enfin un spécimen de prose alerte, vive, coulante, sans fleurs excessives ni impedimenta savans, un spécimen de la prose alerte qui convient précisément pour les romans et que personne, sauf Roger Ascham, n’avait pratiquée jusque-là en Angleterre.
Peut-être, écrit-il tout au début de son ouvrage, avec la désinvolture élégante d’un jeune seigneur qui sait bien faire tout ce qu’il fait, trouvera-t-on que je pousse l’apologie à l’excès ; mais cela est excusable : écoutez ce que disait Pietro Pugliano, mon maître d’équitation à la cour de l’empereur. « Il disait que les soldats étaient la partie la plus noble de l’humanité, et les cavaliers les plus nobles des soldats. Il disait qu’ils étaient les maîtres de la guerre et les ornemens de la paix, rapides dans leurs courses autant qu’infatigables, les premiers dans les camps et dans les cours. » Aucune perfection n’était comparable chez un prince à celle d’être bon cavalier; « l’art de bien gouverner n’était auprès que pédanterie. » Là-dessus il ajoutait d’autres éloges appliqués au cheval lui-même, cette bête sans pareille, le seul courtisan utile, étant le seul qui ne sût pas flatter, l’animal le plus beau, le plus fidèle, le plus courageux; tant et si bien que, si je n’avais pas eu déjà quelque teinture de logique, j’aurais fini, sur ses discours, par regretter de n’être pas moi-même un cheval. Mais tout son langage, qui n’était pas fort bref, m’enseigna du moins ceci qu’aucune dorure ne vaut l’amour-propre pour faire paraître éclatant ce en quoi nous sommes intéressés. Et si l’attachement