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acquiescé à cette doctrine par trop empirique. Nous aimerions mieux assurément, si nous étions les maîtres, refermer sur le choléra les portes de la Mer-Rouge que de courir les chances que nos voisins nous engagent à affronter; mais comme nous ne sommes pas les maîtres et que ce sont eux qui tiennent les clés, nous ne ferions pas mal de suivre leurs conseils dans la mesure de nos moyens. Il ne s’agit pas, heureusement, de dépenser des milliards, nous ne le pouvons pas en ce moment; on hésite même à demander au pays les sacrifices les plus indispensables, parce que ses charges sont déjà tellement lourdes qu’elles commencent à dépasser la mesure de ses forces. Les dépenses augmentent sans cesse et les recettes diminuent d’une manière régulière.

En 1887, la France ne paiera pas moins de 6 milliards d’impôts, en comprenant dans ce total le budget de l’état, celui des départemens et celui des communes. Le moment est donc mal choisi pour lui parler de dépenses nouvelles ; aussi le but de ce travail est-il surtout de montrer que celles qui sont indispensables pour sauvegarder la santé des populations sont de nature productive, et qu’il est possible d’en diminuer le chiffre dans de très fortes proportions, en le réglant sur les ressources des localités. Les dépenses que l’hygiène réclame sont de l’argent bien placé, dans ce sens qu’elles ont pour conséquences immédiates et incontestées une diminution dans le nombre des malades et dans celui des décès. Or les maladies entraînent, par les frais de traitement et par le chômage, des pertes considérables et qui se renouvellent chaque année. La mort est plus coûteuse encore, parce qu’elle s’attaque à ce capital de premier ordre qui s’appelle la vie humaine, et sur la valeur duquel tout le monde est d’accord aujourd’hui. En Angleterre, où la population s’accroît de 12 pour 1,000 par an, où les décès, par conséquent, doivent être moins préjudiciables que chez nous, on évalue la vie d’un nouveau-né à 40 livres sterling (1,000 fr.), et celle d’un adulte à 150 livres (3,750 fr.). Les Américains évaluent à 3,500 dollars (17,500 fr.) l’existence d’un travailleur arrivé à l’âge où il va rapporter le plein nécessaire à sa vie propre et à la vie sociale. En faisant porter mes calculs sur la population de la France tout entière, sans acception d’âge ni de sexe, j’ai trouvé que chaque habitant représentait une somme de 1,097 francs[1]. Quelle que soit l’évaluation à laquelle on s’arrête, il est certain que les maladies et les décès qu’on peut éviter, en

  1. Jules Rochard, la Valeur économique de la vie humaine, conférence faite au congrès d’hygiène de La Haye, le 23 août 1884. (Revue scientifique du 13 septembre 1884 et Revue maritime et coloniale, Paris, 1885.)