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que l’émir attend les Français, qui jouent quitte ou double la même partie qu’à la Macta. L’infanterie régulière s’embusque avec intelligence dans les ravins et dans le cimetière, lieu saint marqué par des prophéties qui promettent un miracle aux musulmans. Le bois est occupé par les fantassins irréguliers, soutenus par quelques pelotons de Nizams. Trois petites pièces de canon, qui jusqu’alors n’avaient servi qu’à constater la souveraineté d’Abd-el-Kader, sont pour la première fois mises en batterie contre les chrétiens : du haut d’une colline escarpée elles prendront d’écharpe les colonnes françaises obligées de se resserrer à mesure que la plaine se rétrécit. Toute la cavalerie, sous le commandement d’El-Mezari, se réunit sur les versans de la montagne pour se jeter sur le flanc droit et l’arrière-garde des chrétiens, que l’artillerie et l’infanterie combattront de front et sur le flanc gauche. Telles sont les dispositions, bien appropriées à la nature des lieux et à l’esprit de ses troupes, que l’émir a prises avec promptitude, guidé par son seul instinct, tant il est vrai que l’intelligence du terrain et la connaissance du cœur des hommes sont les premières qualités d’un général, celles auxquelles rien ne supplée, et dont les inspirations peuvent parfois suppléer elles-mêmes au manque d’études et à l’ignorance des règles de l’art! »

De son côté, le maréchal Clauzel, observateur vigilant, avait pénétré le dessein de son adversaire; en voyant la direction uniformément suivie par les goums, après leur défaite, vers le fond rétréci de la plaine, il s’était convaincu qu’Abd-el-Kader l’attendait aux abords de l’Habra. Aussi avait-il resserré son ordre de marche et donné à la première brigade l’ordre de faire halte en attendant les autres. Puis, impatient de reconnaître le terrain qu’il avait devant lui, il s’était avancé avec le duc d’Orléans et l’état-major, précédé seulement de quelques voltigeurs et suivi d’un peloton de chasseurs d’Afrique. Tout à coup, au-delà d’un mamelon qui masquait la position de l’émir, la petite troupe se trouve en présence d’un gros de cavaliers arabes; sans hésitation, — une minute d’incertitude eût tout perdu, — les chasseurs, enlevés par l’état-major, fondent sur l’ennemi, le culbutent, remettent le sabre au fourreau, saisissent le fusil, et, tout en tiraillant de concert avec les voltigeurs, donnent aux compagnies d’avant-garde le temps d’accourir à la rescousse. Cet épisode émouvant sert de prologue à l’action décisive. Appelées aussitôt par le maréchal, les deux premières brigades sont lancées, l’une contre le bois, l’autre contre le cimetière. A peine en mouvement, du taillis, du ravin, de la montagne, de front et de flanc, une violente fusillade, soutenue par le feu lent mais bien dirigé des canons de l’émir, les accueille : rien ne les arrête. A gauche, le bois est envahi, fouillé, déblayé, enlevé ; le