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l’ouzara. — Quant à la procédure, elle était des plus imprévues : l’administration du protectorat vient de la régler. Le tribunal de l’ouzara est aujourd’hui divisé en deux sections : l’une civile, l’autre pénale. Chaque affaire civile est instruite par un délégué du ministre qui conduit la procédure, arrête contradictoirement avec les parties leurs conclusions, et présente un rapport au chef de la section. Celui-ci examine le rapport, le soumet au ministre qui donne son avis; sur cet avis, le bey statue. — Pour les affaires pénales, l’instruction est menée de même; il est à remarquer que le ministère public n’existe pas en Tunisie, ce sont les victimes, leurs parens, ou, à leur défaut, les caïds qui poursuivent la répression des crimes et des délits ; l’enquête est confiée aux caïds. Ceux-ci, dans les provinces, et à Tunis le gouverneur ou férik, sont juges des affaires qui, tout en étant par leur nature de la compétence de l’ouzara, sont peu importantes. Ils n’ont plus le droit d’infliger des amendes; ils ne peuvent condamner à plus de quinze jours de prison ou de contrainte par corps, et toutes leurs décisions sont susceptibles d’appel devant l’ouzara.

L’ouzara est seul tribunal administratif pour les Arabes ; — D’une façon générale, on pourrait le distinguer du chara en disant que l’un est le tribunal du bey, tandis que le second applique la justice divine. — Le bey n’intervient dans les sentences du chara que dans deux cas : s’il y a partage de voix entre les muphtis, ce qui est très rare, et s’il y a condamnation à mort.

Les condamnés sont pendus. Le droit de grâce n’appartient pas au souverain. Le châtiment n’est pas, comme dans notre législation, un exemple infligé dans l’intérêt général, à l’intention de moraliser, d’effrayer la société, — il est une réparation, une satisfaction personnelle accordée à la victime ou à sa famille, une vengeance, en un mot. La société remet à Dieu, qui juge tôt ou tard, et aux intéressés, le sort des coupables ; si on les lui signale, elle se borne à fournir les moyens de les atteindre et de les punir ; alors même qu’on les lui livre, elle ne leur témoigne ni colère ni mépris violent. A Tunis, les prisonniers vivent ensemble au cœur de la ville, dans de grandes salles d’où ils entendent les cris et les conversations du bazar; chacun d’eux se fait apporter matelas, coussins, tapis, couvertures, son Coran, ses pipes, ses burnous, ses turbans, son linge; ils reçoivent des visites de la ville entière, passent leurs journées en causeries, achètent des fleurs qu’ils se posent entre l’oreille et le turban, égrenant leurs chapelets d’ambre ou de santal, humant leur café et fumant. Le bagne même, la karaka, ne rompt pas les liens de confraternité qui unissent tous les Arabes; les forçats que l’on rencontre enchaînés, deux à deux, le long du canal de la Goulette,