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Il venait sommer le coupable de se dénoncer. Sa demande fut accueillie par un silence gouailleur. Il se tenait debout au milieu de la classe, pâle, les bras croisés, nerveux, mais impassible.

— J’attends, dit-il, je vous donne cinq minutes ; ce temps écoulé, je décimerai la salle, et je proclame doublement lâche le coupable qui laisse punir un innocent à sa place.

Le dernier mot n’était pas achevé que, de toutes les poitrines, partit un hourra d’horreur ; ce fut un cri de protestation unanime ; c’en était fait, la guerre était déclarée. La voix du surveillant fut aussitôt couverte par ce bruit des révolutions scolaires qu’on appelle le bourdon, mêlé de cris d’animaux et de grincement de semelles.

Tesson escalada la chaire du pion et, commençant par la droite :

— Un, deux, trois ; — à dix, il nomma un élève et lui ordonna de sortir ; ses voisins le maintinrent assis. Au bout de quelques minutes, le maître dut céder et sortir sous les huées des élèves.

À peine dehors, le silence se rétablit. Chacun souffla ; le pauvre pion, comme un chien battu par le vent, restait au pied de la chaire, ne sachant où se fourrer. Il sortit bientôt lui-même pour consulter le principal.

On ne perdit pas une minute. Un grand, nommé Chambert, un fabricant de cocardes, monta sur une table et, prenant le ton solennel que comportait une situation aussi grave :

— Citoyens, dit-il, jurons de défendre nos droits jusqu’au bout et de ne pas dénoncer l’ami courageux qui a flétri le cafard. Que ceux qui ont peur s’éloignent pendant qu’il en est encore temps.

Personne ne broncha.

— Et maintenant, au dortoir !

Aussitôt toute la troupe s’ébranla à la suite de son chef, et les escaliers craquèrent sous les pas précipités ; moins d’une minute après la sortie du pion, quarante élèves étaient réfugiés dans leur forteresse.

Le dortoir qu’ils avaient choisi était situé au second étage et garanti, par sa hauteur, de toute escalade. Le plan de défense ne fut pas longuement médité ; les assiégés traînèrent jusqu’à la porte des lits en fer, qui furent empilés jusqu’au plafond, et, cette précaution prise, ils se mirent à trépigner d’aise : on était vraiment en révolution.

Chambert, qui avait lu dans l’histoire que les villes assiégées périssent toujours par la famine, enjoignit aux conjurés de montrer leurs provisions personnelles sans faire aucune réserve. Chacun s’empressa de vider sa commode et de tirer par la chambre la malle glissée sous le lit. Les paillasses furent effondrées, et bientôt, au milieu du dortoir, se trouvèrent étalées les victuailles de toute sorte