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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/867

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en Perse. Il y a vingt ans, on trouvait chez les médecins de petites quantités de sucre qu’ils appelaient « sucre russe » et dont ils se servaient pour les maladies des yeux. Mais la coutume de prendre du thé, venue de Russie, a pris depuis cette époque une extension increvable. Tous les Persans, même les gens du peuple, en prennent jusqu’à huit et dix fois le jour. Comme conséquence, le sucre est devenu une denrée de première nécessité, et il donne lieu actuellement à un grand commerce.

Ce continuel mouvement de caravanes, cette dépense considérable en journées d’hommes et de bêtes de somme, font penser tout d’abord à un très grand transit. Mais le résultat atteint est peu de chose en raison du travail produit. Au résumé, il n’arrive par jour que 25 tonnes de marchandises à Bouchir et 25 tonnes à Chiraz, en comptant à 120 kilos la charge du mulet. C’est peu, étant donné surtout que les transports se font dans la belle saison seulement, la montagne étant impraticable en hiver et au printemps. La perte de temps n’a d’ailleurs pour les muletiers aucun inconvénient, et une grosse caravane s’arrête très bien deux ou trois jours pour reposer un mulet blessé ou trop fatigué pour suivre le reste du convoi.

Sur cette route, la sécurité est complète : on trouve à la fin de chaque étape un caravansérail et un poste de gendarmes (tofangchis). On entrelient même un peu le chemin ; lorsqu’un bloc de gypse a roulé dans le sentier, les tofangchis le brisent et en dispersent les morceaux. Ils demandent pour leur peine un pourboire aux caravanes qui passent, et ils ont soin naturellement de faire durer le travail longtemps pour qu’il passe beaucoup de caravanes.

Les kotals, c’est ainsi qu’on appelle les rampes escarpées qui donnent accès d’un plateau à l’autre, sont pavés, ce qui empêche les mulets de s’y tenir debout. La plupart du temps, les caravanes suivent de petits sentiers en dehors de la route et tournent ainsi l’obstacle dressé par une administration trop prévoyante pour ce cas particulier. Mais cette manœuvre n’est pas toujours possible ; tel est le cas du Kolalé Dokhtar (kotal de la jeune fille), nom singulier pour ce sauvage endroit. La route longe un précipice d’un côté, de l’autre une muraille à pic, la pente est très raide. Elle est pavée de calcaire siliceux qui devient extrêmement poli. Chaque pierre porte des traces de sang. Tous les mulets que l’on croise ont les genoux emportés. Les bêtes, qui sont déjà fatiguées ou malades, s’épuisent dans le violent effort nécessaire pour cette ascension ; elles tombent et ne se relèvent plus. Le chemin est bordé de squelettes blanchis. Des bandes de grands aigles tournoient au-dessus du précipice ou bien, groupés sur une tête de rocher, ils regardent silencieusement passer tous ces mulets chargés, bien certains que d’ici