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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/896

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Tous ceux qui auraient fait des déclarations infidèles seraient punis de mort et leurs biens confisqués ; Carra demandait de plus que les recherches de la commission s’étendissent à toutes les opérations faites depuis 1740. Les considérans du projet de décret étaient d’une violence extrême et préjugeaient les décisions de la commission :

« Non, vous ne laisserez pas ces stupides sangsues dans l’ombre du repos sans les faire dégorger de tout le sang qu’elles ont sucé sur le corps du peuple.

« Législateurs, il n’y a point de temps à perdre ; tous ces voleurs de deniers publics, ces sangsues du peuple, ces exécrables agioteurs vont se hâter de vendre leurs possessions territoriales et de fuir en portant à vos ennemis le reste de la fortune publique, si vous ne vous hâtez vous-mêmes de les prévenir. »

La proposition de Carra ne pouvait paraître exagérée à ses contemporains ; elle avait en effet son origine dans des mesures prises par la monarchie contre les gens de finance, que le régent avait traités avec la même dureté, dans les considérans de l’édit de mars 1716, portant création d’une chambre de justice. « Ils ont détourné la plus grande partie des deniers qui devaient être portés au trésor royal... » — « Les fortunes immenses et précipitées de ceux qui se sont enrichis par ces voies criminelles, l’excès de leur luxe et de leur faste qui semble insulter à la misère de la plupart de nos sujets, sont déjà une preuve manifeste de leurs malversations. Les richesses qu’ils possèdent sont la dépouille de nos provinces, la substance de nos peuples et le patrimoine de l’état. » En outre, le préambule de l’édit rappelait les ordonnances de 1545 et 1601, qui condamnaient à la peine de mort les préposés au maniement des deniers publics coupables de malversation, sans que la peine pût être modérée par les juges qui en doivent connaître.

Les fermiers-généraux furent oubliés pendant la lutte des Girondins et des Montagnards. Le 5 juin, le député Montant, prétendant que les commissaires liquidateurs cherchaient à retarder la reddition de leurs comptes et à détourner les sommes qui leur étaient confiées, obtint un décret qui supprimait la commission, ordonnait l’apposition des scellés sur leurs papiers et la mise sous séquestre des fonds en caisse. Le lendemain, 20 millions en assignats et 9,000 livres en numéraire étaient transportés au trésor. Ainsi tout le travail de la liquidation était arrêté, au grand désespoir des commissaires, qui avaient hâte de voir approuver leur reddition de comptes. En vain s’adressèrent-ils à Clavières, à Garat, ministre de l’intérieur, à Vernier, président du comité des finances, tous reconnurent le mauvais ef1er et d’un décret provoqué par l’initiative individuelle et dont le comité des finances ignorait même la teneur.