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tous les comptes des baux de David, Salzard et Mager[1], et soumettre leur travail au bureau de comptabilité sur les abus qu’ils dénonceront ou découvriront. Le décret, en outre, excitait le zèle des dénonciateurs, en leur promettant des indemnités proportionnelles aux sommes qu’ils feraient rentrer dans les caisses de l’état ; cette commission de révision était complétée par l’adjonction de deux membres de la Convention, Jack et Dupin. Jack, resta absolument étranger à la liquidation de la ferme et en laissa toute la surveillance à Dupin.

Les dénonciateurs qui s’étaient offerts spontanément étaient tous d’anciens employés des fermes. Leur chef s’appelait Gaudot ; il avait été receveur des droits d’entrée de Paris au port Saint-Paul. Introduit dans l’administration par Mollien sur la recommandation du ministre de Vergennes et du contrôleur-général d’Ormesson, il fut convaincu, en 1789, d’avoir puisé, dans sa caisse, une somme de plus de 200,000 livres et d’avoir falsifié les registres pour dissimuler ses soustractions. Voleur et faussaire, il fut condamné à la prison, parvint à s’échapper après la journée du 10 août, et se posa alors comme un patriote jeté dans les cachots de la monarchie, parce que seul il pouvait dévoiler les malversations des fermiers-généraux. En se présentant pour examiner leurs comptes, il espérait pouvoir fouiller à son aise dans leurs papiers et faire disparaître les preuves de ses crimes. Il sut recruter des complices pour sa détestable besogne, d’abord un de ses amis, Guillaume dit Châteauneuf, nature envieuse, ambitieux déçu, qui ne pouvait pardonner à ses anciens patrons de l’avoir laissé dans le grade de sous-chef, alors que des collègues, moins anciens, étaient nommés chefs de bureau, puis Vernon, directeur de Paris pour les gabelles et le tabac. Jacquard et Mottet, autrefois employés aux fermes. Ces trois derniers n’avaient aucun grief à invoquer; l’espoir d’une récompense pécuniaire les avait décidés à se joindre à Gaudot.

La plupart des financiers ne s’inquiétèrent pas de cette nomination ; quelques-uns étaient moins confians. Suivant eux, les commissaires reviseurs, voulant à tout prix justifier leur intervention, supposeraient des délits imaginaires dont les prévenus ne seraient pas admis à se justifier ; aussi prévoyaient-ils que leur ruine serait consommée par la confiscation totale de leurs biens. Est-ce à ce moment que Lavoisier disait à Lalande qu’il s’attendait à être dépouillé de toute sa fortune, mais qu’il travaillerait pour vivre? Aucun des fermiers-généraux ne se doutait alors des haines dont ils étaient

  1. David, Salzard et Mager étaient les signataires des baux passés en 1774, 1780 et 1786. Quand l’état passait un bail, le signataire était un prête-nom, dont les fermiers-généraux étaient considérés comme cautions. (Sur Salzard, voir Mercier, Tableau de Paris.)