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cellules, dont chacune recevait deux prisonniers. Le second étage était occupé par les détenus pauvres ; chaque corridor était chauffé par un grand poêle. En outre, au fond du corridor, se trouvait une chambre à feu, plus grande, portant le numéro 33, et, en retour, dans le bâtiment érigé le long de la rue d’Enfer, une grande salle où l’on se réunissait pour prendre ses repas en commun et qui pouvait contenir six tables de seize couverts. C’est là que le soir on s’assemblait : les femmes tricotaient ou brodaient ; les hommes lisaient, écrivaient ou causaient; puis on soupait; à neuf heures, il fallait se rendre à l’appel, puis se retirer dans ses chambres, mais il était permis ensuite d’aller s’y rendre visite. Avec les financiers se trouvaient à Port-Libre le vicomte de Barrin, lieutenant-général de la promotion de 1781 ; Angran, ancien président au parlement; Chaumont de la Galaizière, intendant d’Alsace; Caumartin, prévôt des marchands; Meulan d’Ablois, qui avait été intendant d’Aunis, puis de Limousin ; Lecoulteux-Ganteleux, de la maison de banque Lecoulteux et Cie ; le comte de Bar, Mme Fougeret et Mme de Montheron, femmes de receveurs des finances emprisonnés en même temps ; Mmes de Sabran, d’Aguay, de Crosne, avec son fils, âgé de quatorze ans.

Dans les premiers jours de l’incarcération des financiers à la prison de Port-Libre, l’encombrement était tel qu’ils furent obligés, pour la plupart, de coucher dans des salles communes dépendant du bâtiment de la rue d’Enfer, où ils étaient entassés au nombre de vingt ou vingt-cinq ; c’est ce qui arriva pour seize d’entre eux dans la nuit du 9 au 10 frimaire ; des vieillards, comme Paulze, en souffrirent beaucoup, d’autant plus que leur sommeil fut troublé par l’arrivée de nouveaux prisonniers, entre autres de huit religieuses, qui auraient passé la nuit au corps de garde, si les femmes détenues ne les avaient reçues dans leurs étroites cellules. Enfin, le lendemain, les financiers furent installés dans les cellules du premier étage ; Lavoisier obtint la chambre à feu numéro 33, qu’il partagea avec son beau-père Paulze et son collègue Nicolas Deville ; aussitôt ils s’occupèrent assez gaîment d’organiser leur logement : on pose des planches, on cloue, on scie, on charpente[1]. Lavoisier était heureux d’une installation relativement plus confortable, mais il prévoyait que sa chambre servirait de rendez-vous à ses collègues, et c’est là, en effet, que se réunirent les fermiers-généraux pour discuter leurs affaires, se chauffer, prendre leurs repas, qu’ils fixèrent au tarif modeste de 40 sols par tête, pour ne pas attirer l’attention. Dès le surlendemain de son arrivée à Port-Libre, Lavoisier se

  1. Lettre de Lavoisier.