Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/924

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et aurait pu facilement se soustraire à la surveillance de son gardien; il avait eu la naïveté de consulter Dupin, qui lui avait assuré qu’il serait acquitté et ainsi débarrassé de toute surveillance ; il vint donc, tout confiant, se constituer prisonnier à la Conciergerie; depuis quatorze ans, il avait cessé d’appartenir aux fermes.

Au moment où Coffinhal enlevait la parole à Saint-Amand, Liendon se leva pour donner lecture d’un décret de la Convention rendu le jour même ; trois accusés, Delabante, Sanlot et Delaage de Bellefaye étaient mis hors des débats, comme n’ayant qu’été adjoints et n’ayant signé aucun des baux incriminés. Ce décret avait été provoqué par Dobsen ; après s’être en vain adressé à Fouquier-Tinville, qui refusa de les rayer de son acte d’accusation, quoi qu’ils ne fussent pas compris dans le décret du 16 floréal, Dobsen avait couru chez Dupin, l’avait entraîné au comité de sûreté générale, qui rédigea rapidement son rapport. Dupin en toute hâte, et c’est le seul acte qui lui fasse honneur, avait présenté à la Convention, obtenu sans discussion et transmis au tribunal le décret sauveur. Les trois adjoints furent emmenés, pâles, défaits, tremblans d’émotion, partagés entre la joie de vivre et la douleur de laisser sur les bancs leurs amis, leurs parens. Delahante y comptait ses beaux-frères, les Parceval, et de Bellefaye était séparé de son père, qui, en ce moment, eut la joie dernière de voir son fils échapper à la mort.

A peine les adjoints étaient-ils éloignés, il était une heure, que Liendon, après quelques questions insignifiantes, prononça son réquisitoire, tout empreint de la rhétorique violente et ampoulée de l’époque. Après avoir rappelé les différens genres d’exactions et de concussions, les avoir démontrés, dit le Bulletin du tribunal révolutionnaire, d’une façon succincte et touchante il conclut que la mesure du crime de ces vampires était au comble, qu’ils réclamaient vengeance, que l’immoralité de ces êtres était gravée dans l’opinion publique, et qu’ils étaient les auteurs de tous les maux qui pendant quelque temps avaient affligé la France. Ensuite les défenseurs furent entendus : vaine apparence de légalité ! Que pouvait être la plaidoirie de ces quatre défenseurs qui avaient à parler pour vingt-huit accusés, avec lesquels ils avaient pu s’entretenir à peine un quart d’heure Halle fit mettre sous les yeux du tribunal le rapport qu’il avait rédigé au nom du bureau de consultation, le tribunal dédaigna d’en prendre connaissance, et c’est peut-être alors que Coffinhal prononça ces paroles tristement célèbres : « La république n’a pas besoin de savans, il faut que la justice suive son cours. »

La condamnation n’était pas douteuse ; les jurés, disons-le pour