l’effort des politiciens n’a pas brisées encore ; nos officiers n’ont pas perdu leurs mérites pour y avoir ajouté l’étude et la modestie. En toute occurrence et contre tout adversaire, cette force n’est pas méprisable. Contre une agression sans prétexte et sans pitié, cette force peut devenir irrésistible.
La France est le pays des transfigurations soudaines. Ce peuple, aujourd’hui encore absorbé par ses intérêts, bornant ses regards à son propre sol, si dénué de haines qu’il ne croit pas qu’on le puisse haïr, n’offre aucune ressemblance avec le peuple qui, voyant ces intérêts perdus, ce sol envahi, obligé de comprendre enfin qu’on en veut à sa vie, sentirait à la fois en son cœur l’horreur de l’injustice et de la mort.
Ces causes morales produisent peu d’effet peut-être sur les armées du métier, mais elles influent sur les armées que forment les nations; elles ont de plus souvent le poids mystérieux jeté par le droit dans les balances du destin. Et si un premier succès, rompant les liens où notre confiance est depuis seize années prisonnière, nous rétablissait dans la liberté de notre antique allure, alors nous poursuivrions peut-être d’un élan si impétueux la fortune que nous ne la laisserions plus s’échapper. C’est l’honneur, c’est aussi la faiblesse de l’organisation allemande de n’avoir été consacrée que par des victoires: il lui manque l’épreuve des revers. Le génie allemand, incomparable pour tout prévoir, tout préparer, et mettre l’ordre dans les ensembles par l’ordre infini des détails, serait-il égal à lui-même si la guerre troublait les plans longuement établis, dispersait ce qui devait être uni, confondait ce qui devait rester distinct? Est-il assez souple et rapide pour résoudre sans cesse les problèmes aux inconnues sans cesse changeantes que posent les échecs, et surtout les échecs successifs? Y a-t-il dans le soldat lui-même l’ensemble d’initiative, de stoïcisme et de gaîté qui, dans les circonstances critiques, font de chaque homme un réconfort pour les autres, empêchent les paniques, et, aux heures où l’organisation succombe, prévient par les vertus individuelles l’irréparable désordre des masses démoralisées? L’avenir le dirait. S’il prononçait contre l’Allemagne, les conséquences ont été indiquées par le chancelier lui-même. En annonçant d’avance la dureté de sa victoire, il a légitimé la rigueur de sa défaite, et ne saurait se plaindre qu’on lui appliquât la loi portée par lui-même. Et qui, après une « attaque scélérate, » pour emprunter son langage, soutiendra que l’empire d’Allemagne n’aurait pas mérité son destin?
Il n’est pas nécessaire d’élever si haut notre espérance. Même heureuse pour les armes de l’empire, la guerre lui pourrait être funeste.
Cet empire, si grand soit-il, est une œuvre incomplète Le génie l’a construit, mais le génie politique achève son œuvre où il crée