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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/951

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contre sa renommée importune qui a inspiré les résolutions des états et abandonné à la Prusse tous les fruits de la victoire. Ces fruits ont été tels que l’Allemagne, à son tour, a obtenu la prépondérance. Si les deux peuples en venaient aux mains, le danger de l’Europe serait manifeste. Permettre à la France de vaincre l’Allemagne serait rétablir l’ancienne suprématie dont l’Europe a voulu la fin en 1870 : permettre à l’Allemagne de vaincre la France serait grandir encore la suprématie nouvelle qui déjà inquiète l’Europe. Celle-ci ne saurait consentir que, par l’abaissement d’un des peuples, l’autre parvînt à un excès de domination dangereux pour tous.

Si donc l’empire voulait attaquer la France et obtenir par la guerre de grands résultats, il aurait à annuler d’abord cette force de l’Europe. Il ne faudrait pas qu’il fût arrêté avant la lutte comme il l’a été, en 1877, par les représentations des puissances. Il ne faudrait pas surtout qu’après, un accord de l’Europe lui enlevât les fruits de la victoire, comme lui-même les a ravis, en 1878, à la Russie par le traité de Berlin. Un peu; le résolu à grandir par la conquête et arrêté par la volonté d’états plus nombreux et plus forts, qui ne prennent ni ne laissent prendre, a une seule chance de vaincre cet obstacle, c’est d’inspirer à ces états des ambitions semblables à la sienne. S’il ne veut pas être troublé dans l’accomplissement d’une spoliation, qu’il montre à ceux dont il redoute la justice d’autres pillages à commettre. La violence excite chez ceux à qui elle révèle ses plans ou le désir de la combattre ou l’espoir de l’imiter. Si elle réussit à corrompre la probité publique, la force qu’elle avait à craindre se dissout; chacun, isolé dans son iniquité, cesse de faire obstacle à l’iniquité d’autrui. Ce peuple a transformé ses juges en complices.

Il y a des heures plus favorables pour ces tentations. Quand des fortunes subites et fondées sur la force se succèdent et durent, changent l’équilibre des peuples et l’apparence même de l’honneur, donnent à la modération un aspect de misère et au devoir de niaiserie, l’immoralité du spectacle finit par glisser sa corruption dans les âmes. L’Europe est à une de ces heures. Les bouleversemens des dernières années n’ont laissé personne satisfait de son sort. L’insolente promptitude de certaines grandeurs a donné aux uns l’habitude de prendre, aux autres une avidité croissante de recevoir. Les peuples songent, de moins en moins révoltés, aux légitimités de l’audace. Lequel n’a jeté sur le monde des regards d’envie, et dans le secret de ses convoitises ne tient déjà pour sien ce qui appartient à d’autres !

Une Allemagne résolue à obtenir de l’Europe la liberté d’action ne trouverait donc pas, dans l’état présent des consciences, un obstacle insurmontable. L’obstacle sera dans l’exigence des appétits. Il n’est pas