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de vagues espérances comme d’autant de pièges, ils ne se laisseront pas tenter par des guerres où les sacrifices leur apparaîtraient définitifs, les avantages révisables, et s’ils échappent à la passion de conquérir, ils se retrouvent en volonté et en force d’empêcher que personne grandisse en Europe. L’incertitude de l’avenir a donc pour limites la certitude d’une alternative. Ou l’encouragement donné par l’Allemagne aux ambitions aujourd’hui suspendues sur l’Europe sera trop vague pour assurer aux peuples avides la part qu’ils souhaitent, et alors la crainte d’une aventure les tiendra attachés à la paix. Ou le consentement de l’Allemagne sera précis, et comme elle promettra à un seul des parts auxquelles plusieurs prétendent, la guerre divisera l’Europe en deux camps. Cette guerre, où chacun des peuples engagés jouerait tout son avenir, serait une des plus générales, une des plus impitoyables, une des plus funestes de l’histoire.


IV.

Voilà pourquoi cette guerre n’éclatera pas.

La crainte qui s’est emparée du monde a été salutaire. Contraints de contempler en face le péril, les gouvernemens et les peuples l’ont vu plus grand encore qu’ils ne le supposaient.

Personne, en Europe, n’osera donner le signal de tels fléaux. Les peuples n’ont jamais manifesté un attachement aussi solennel à la paix. Le gouvernement, auquel sembleraient réservées les plus grandes chances dans la guerre, a déclaré qu’il ne la provoquerait pas. Son intérêt cautionne sa sincérité. Même pour lui, les triomphes seraient douteux et lointains, les malheurs certains, immédiats, et il n’a plus autant à gagner qu’il risque de perdre. Les fondateurs de l’empire ont demandé à la fortune et obtenu d’elle plus qu’elle n’accorda jamais, ils ont établi et fait accepter un excès de prépondérance qu’avant eux l’Europe n’avait supporté de personne; ils viennent d’accumuler, dans l’espace d’une vie d’homme, des œuvres et des gloires qui semblent séculaires. Aujourd’hui, chargés de jours, ils ne peuvent être sollicités que par une gloire nouvelle, celle de donner au monde le repos, de se le donner à eux-mêmes. Ils ne veulent pas achever leur vie au milieu d’une lutte dont ils ne verraient pas la fin, et se préparer les funérailles de ces rois barbares qui faisaient massacrer les hommes jusque sur leur tombeau.

Si la sagesse ou la folie d’une seule volonté commandait aux événemens, malgré le crime, malgré le fléau de la guerre, la guerre serait