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style. Or M. Ohnet, qui sait composer et mener une fable, ne se pique pas d’inventer son langage, et ses héros, plus souvent que des caractères, sont des types. Ce peu de rareté de l’expression, aussi bien que des personnages, écœure nos raffinés ; pour le public, cependant, qui n’aime guère que rien l’étonne, c’est encore une chance de lui plaire. Voilà comment l’œuvre est acclamée ; voilà comment ce tapage, qui donne l’éveil à nos gens, leur paraît un scandale. Un de ces dégoûtés est-il critique de profession, et chargé, comme tel, de contribuer à la police des lettres ? Il craint que M. Ohnet ne s’arroge une part de renommée qui ne serait pas la sienne ; il siffle un signal d’alarme. Et, si le siffleur est un virtuose, les voisins l’écoutent, ils l’applaudissent ; et bientôt, pour s’applaudir, ils sifflent à l’unisson. Pour un qui a le droit de sentir comme il sent et le devoir d’exprimer son sentiment, dix se lèvent, qui prétendent sentir de même et qui usurpent ce devoir. Peu à peu, le chef lui-même, animé par l’exercice, redouble de verve ; les autres, alors, font rage. En vérité, jamais malfaiteur ne fut dénoncé, traqué avec plus d’éclat : c’est flatteur, au moins, de mettre sur pied tant de gendarmes volontaires ! M. Ohnet, à présent, n’est plus un jeune auteur, ni même un auteur, il est hors la loi, hors l’humanité. Il est l’ennemi, le monstre, qu’on imagine menaçant M. Feuillet et M. Cherbuliez aussi bien que MM.de Goncourt, M. Zola et M. Daudet, M. Paul Bourget et M. Guy de Maupassant : quel honneur ! Il fait tête, lui seul, aux défenseurs zélés de tous ces écrivains : ah ! que son aspect est formidable ! Ce n’est pas à un simple chat, suspect de convoiter un peu plus que sa pitance, qu’on aurait attaché un pareil grelot, que dis-je ? un carillon ! c’est pis que la bête du Gévaudan ! c’est la bête de l’Apocalypse. La fin du monde littéraire est proche. Et comment durerait-il ? M. Ohnet accapare non-seulement toute la gloire, mais les moyens les plus sûrs de s’en procurer, qui sont de concevoir vulgairement et d’écrire mal. Voyez ! Est-il quelqu’un d’autre à qui l’on reproche ces avantages ? Mais non : apparemment, il jouit d’un monopole ; c’est décourageant ! Aussi bien, tous ceux qui crient haro sur cet Ohnet se croient exempts de péché ; parce qu’ils imitent la sévérité d’un puriste, ils se croient purs ; et j’aperçois ce jugement, charbonné sur les murailles : M. Ohnet né se pas l’hortograf !..

Ce charivari émeut beaucoup de personnes, et de celles-là qui, par leurs bravos, ont compromis notre auteur. Volontiers, aujourd’hui, elles redemanderaient leur argent, sous le prétexte que le Maître de forges a cessé de leur plaire. C’est avoir profité que de savoir s’y déplaire : elles veulent donc avoir profité ; elles ressentent des scrupules. Au moins sont-elles embarrassées pour retomber dans un plaisir pareil : elles boudent contre leur goût et se défendent contre la tentation. Il y en a plus encore, je le crois, qui tiennent bon ; qui ne doutent pas d’elles-mêmes ni de leur idole ; qui n’entendent pas les