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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/962

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pour sauver le bonheur de son oncle, et l’honneur de sa tante, et la vie de l’aide-de-camp, elle déclare qu’elle-même, Sarah et Séverac tenaient là un conciliabule innocent. L’objet de ce conciliabule? C’est le notaire, par une soudaine illumination, qui l’imagine et le dénonce. Il veillait sur son ami Séverac; il avait deviné, le premier, l’amour mutuel de Blanche et du commandant; il saisit l’occasion de délivrer celui-ci, d’exaucer celle-là, de sauver toute la maison : il jure qu’on délibérait sur l’opportunité d’une demande en mariage. Ni Blanche ni Séverac ne le démentent. Le général, contenant un soupçon furieux, dit à sa femme : « c’est ma nièce, un jour, qui a mis votre main dans la mienne; mettez sa main, aujourd’hui, dans celle de Séverac. » Sarah, frémissante de dépit, sous l’œil de son époux, exécute cet ordre; et le général, à part soi, murmure : « Ils mentent tous ! »

Il est tendu avec habileté, avec énergie, ce traquenard où l’auteur prend les principaux personnages de sa pièce : ni M. Sardou ni M. D’Ennery ne sauraient mieux faire. Et considérez, s’il vous plaît, ce que n’est pas seulement un tour d’adresse ou de force. On connaît l’histoire de ce professeur de philosophie qui, avant de prouver l’existence de Dieu, mettait sur la tablette de sa chaire autant de haricots que le programme officiel annonçait de preuves : après chacune, il repoussait un haricot vers l’angle de la tablette; et, à la fin, sûr de n’avoir rien oublié, il concluait : « Tous les haricots sont dans le coin ; donc Dieu existe. » A vrai dire, cependant, si Dieu existait, ce n’est pas parce que tous les haricots étaient dans le coin. Ici, de même, si nous sommes émus, ce n’est pas parce que tous ces personnages, par des moyens plus ou moins savans, sont réunis en scène : leur présence n’est qu’un signe de la vertu dramatique de l’ouvrage. Chacun d’eux éprouve des sentimens personnels, et chacun ressent, à divers degrés, ceux des autres ; chacun s’éclaire d’une lumière propre et des reflets de tous ses voisins. J’ai indiqué déjà plusieurs nuances de ce tableau ; quelques-unes encore : à l’heure où il déchoit de son estime, où elle le connaît pour traître et ingrat, c’est justement à cette heure que Blanche est fiancée à l’homme qu’elle aime; et lui, qui l’aime également, sait que, justement à cette heure, elle le trouve indigne d’elle. Sarah est prise de vertige entre deux abîmes de douleur : elle voit que son amant lui est infidèle, et qu’il est en danger ; il faut qu’elle le livre à l’amour d’une rivale, ou à la vengeance de son mari. Voilà un soprano, un ténor, un contralto, qui ont assez de raisons de chanter : joignez à leurs voix celle du mari, un baryton, celle de Frossard, un ténorino, qui fait des arpèges d’une partie à l’autre, et celle de Merlot, une basse qui grogne convenablement, — voilà le sextuor : il est assez pathétique. Même ce premier soir, bous le feu des railleurs à l’affût, ou est tout près de bisser ce finale.