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l’imagination populaire ? Il la divertit, il l’émeut par le spectacle de sentimens célestes et de passions diaboliques; il la rassure par la vision d’une équité dernière, le tout à la façon d’un roman ; — Et il offre, en son milieu, une crise inventée par un dramaturge ! On peut nous offrir sans doute des régals plus rares : mais pourquoi, au banquet du public, M. Ohnet n’apporterait-il pas ce morceau ? Et ne convient-il pas que les raffinés s’abstiennent des banquets, s’ils ne peuvent s’empêcher, voulant propager leurs dégoûts, de cracher dans les plats?

Je n’ai celé aucun mérite, aucun défaut de ce drame; j’ai fait à peu près comme la troupe du Gymnase : ni ma critique ni son interprétation ne sont prestigieuses. Mme Jane Hading figure la comtesse Sarah : elle la figure joliment, est-il besoin de le dire? Si seulement elle pouvait avoir moins de talent ! J’ose à présent murmurer ce vœu, parce qu’il ne me paraît plus chimérique : Mme Jane Hading est déjà plus simple, en quelques passages, que dans Sapho et dans le Prince Zilah ; elle se tracasse encore trop. Qu’elle se contente d’être elle-même, et qu’elle le soit avec abandon. M. Lafontaine joue le général; on connaît ses allures : c’est un vieux coursier. M. Romain, qui fait l’aide-de-camp, est plutôt un percheron. L’un caracole avec solennité; l’autre est un peu froid et lourd. Mlle Brück, pour représenter Blanche de Cygne, m’a paru trop terrestre : sa diction même, naguère assez aérienne (à la Comédie-Française, elle rappelait le chaut de Mlle Sarah Bernhardt), ne devient-elle pas limoneuse? Je ne m’étonnerais pas d’y voir M. Noblet, à la Comédie-Française : dans ce rôle de Frossard, personnage moins vivant que remuant, il est habile et agile.

Aussi bien, dans peu d’années, sur quelle scène, autre que celie4à qui porte son nom, la comédie se jouera-t-elle encore? Et, même là, je vois qu’on est inquiet sur le recrutement de la troupe. Les comédiens nouveaux, mais surtout les comédiennes, où sont-elles! « En vérité, quand on en cherche, on est effrayé de sa solitude ; » ainsi par le une héroïne de Musset, qui cherche pourtant un oiseau moins rare : plus facilement qu’une comédienne, un trouve encore « un homme de cœur ! » j’ai sous les yeux un récent mémoire; l’auteur est quelqu’un de la maison, j’entends de la maison de Molière. Il s’est rappelé que le décret de Moscou, en réglant l’étude de la déclamation, désignait les écoliers par ce titre : Élèves du Théâtre-Français. Napoléon voulait que cet illustre corps, étant comme la garde de l’art dramatique, eût, en effet, ses pupilles. On demande aujourd’hui que l’école de déclamation soit détachée du Conservatoire de musique, à l’ombre duquel, peu à peu, elle périt, et qu’elle soit rattachée à la Comédie-Française. On souhaite aussi qu’un « théâtre d’application » soit fondé où ces jeunes gens, après avoir appris la théorie, feraient l’exercice. Des auteurs, des critiques, des comédiens, je dis des plus huppés, ont apostille ces projets. Nous avons, à l’heure