succombe presque sous le poids de mon chagrin ; car je n’ai pas changé d’opinion sur les immenses avantages personnels que m’offrait le commandement de l’expédition, et je ne serai probablement récompensé d’un sacrifice qui laissera des traces profondes dans ma vie que par la croyance généralement répandue que j’ai reculé, que je sais montrer de l’ardeur de loin, mais que, quand il faut quitter ma patrie, etc… je n’y suis plus, que je suis un cheval qui piaffe sur place, qui hennit, mais qui n’avance pas ! Je supporterai cette odieuse situation et je m’appuierai sur l’estime de ceux qui ont lu dans mon cœur et jugé les nobles motifs qui m’ont guidé ; puis, par mon travail et mon énergie, je reconquerrai peut-être dans plusieurs années d’efforts ce que j’aurais pu acquérir d’une seule fois. Le sentiment du bien perdu est le poison le plus amer qui puisse se glisser dans le cœur. J’ignore encore l’effet de ma lettre, et je vous écrirai ce soir après le retour de l’estafette. Je vous ouvre avec confiance mon cœur, parce que vous êtes de ceux qui sauront me comprendre et qui me plaindront.
« Dix heures du soir. — Je reçois la réponse du roi ; mon premier soin est de vous recommander mon frère. Vous le connaissez déjà, vous serez content de lui, et ce sera mettre quelque baume sur mes plaies que de le placer dans les situations les plus propres à ce qu’il se distingue et à ce qu’il prouve ce qu’il y a en lui. Vous me connaissez assez pour savoir qu’aucun sentiment d’envie ne trouve place dans mon cœur, et je me hâte d’aller au-devant de cette pensée : je vous souhaite toute la gloire possible, je me réjouirai cordialement de toute celle que vous recueillerez, et si je pense quelquefois que mon intérêt et presque mon devoir m’appelaient là où vous êtes, ce ne sera que pour me rappeler que cet avantage manquant à ma carrière, je dois, par mon travail de tous les instans, chercher ailleurs d’autres bases à ma position et d’autres titres à l’estime de mon pays et à la confiance de l’armée. Je ne suis pas de ceux qui se rebutent aisément, et, au milieu de l’amertume que me laisse tout ceci, je ne me distrairai qu’en me créant de nouvelles occupations et en me consacrant à quelque nouvelle tâche que je vais chercher de mon mieux. Je continuerai de soigner tout ce qui se rattache à l’expédition, comme si je devais encore la commander ; vous trouverez en moi un avocat zélé pour les intérêts de l’Afrique et ceux des militaires placés sous vos ordres : qu’ils se confient à moi. qu’ils ne doutent pas de moi, et une partie de ma peine sera adoucie. Je ferme cette lettre en vous souhaitant au fond du cœur tout ce que j’aurais désiré pour moi-même ; parlez-moi beaucoup de l’Afrique, aidez mon frère à faire sa carrière de prince et de soldat, et croyez, mon cher général, à l’expression de tous les sentimens que vous me connaissez pour vous. »