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que vos femmes, vos enfans et vos biens seront respectés, et que vous pourrez continuer à vivre paisiblement dans vos maisons. Envoyez des gens de bien pour me parler et convenir de toutes choses avant que j’entre dans la ville ; je leur donnerai mon cachet, et ce que j’ai promis, je le tiendrai avec exactitude. » Un jeune soldat du bataillon turc s’offrit pour porter la missive; le voyage était périlleux. Au milieu des coups de fusil, un drapeau blanc à la main, il arriva au pied de la muraille ; on lui jeta une corde qu’il noua autour de son corps ; il se laissa hisser et disparut derrière le rempart. Les heures se passèrent; il ne revint pas; on le crut mort. Le lendemain au point du jour, on le vit reparaître au quartier-général : il n’avait pas été maltraité ; on l’avait conduit au Kaïd-ed-Dar, chef du palais, qui, après une nuit d’attente, le renvoyait avec cette réponse : « Si les chrétiens manquent de poudre, nous leur en enverrons; s’il n’ont plus de biscuit, nous partagerons le nôtre avec eux ; mais, tant qu’un de nous sera vivant, ils n’entreront pas dans Constantine. » Quand le gouverneur entendit de la bouche de son envoyé ce fier langage : « Voilà de braves gens, s’écria-t-il ; eh bien ! L’affaire n’en sera que plus glorieuse pour nous. »

Pendant la nuit du 11 au 12, l’artillerie et le génie, travaillant de concert, avaient transformé en épaulement de batterie le parapet en sacs à terre élevé, la nuit précédente, par les sapeurs, au sommet de la pente qui descend au Bardo ; la distance de ce point à la muraille déjà entamée n’était plus que de 120 mètres. Aussitôt on s’occupa de désarmer la batterie de Nemours au profit de la nouvelle batterie de brèche. Au jour, deux pièces étaient déjà sur leurs plates-formes, devant leurs embrasures; les deux autres y furent conduites sous le feu violent de l’ennemi, qui, la veille, avait réservé pour les heures décisives une partie de ses moyens de défense. L’approvisionnement de la batterie n’était pas une opération moins périlleuse ; il y avait, sur un espace de 300 mètres à découvert, une descente que des travailleurs d’infanterie, portant chacun une charge et un boulet, parcoururent par groupes le plus rapidement possible et sans trop de pertes. La nuit la plus belle avait favorisé ces derniers apprêts du dénoûment prochain, quand, deux heures avant le jour, un orage éclata violent, mais sans durée ; puis le soleil se leva radieux, éclairant d’une lumière oblique les travaux de l’assiégeant, dont le profil se dessinait en silhouettes allongées sur les pentes du Coudiat-Aty.

Le général de Damrémont venait de recevoir la réponse héroïque du Kaïd-ed-Dar; à huit heures, accompagné du prince et de l’état-major, il arriva du Mansoura, mit pied à terre en arrière de la batterie de Nemours et s’arrêta pour examiner l’état de la brèche, déjà très apparente. Le général Rullière lui fit observer que l’endroit