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de l’armée victorieuse, à quoi, par sa richesse et par l’abondance des approvisionnemens qu’elle renfermait, il ne lui fut pas malaisé de suffire. Un commencement de pillage, excité par la convoitise des juifs qui poussaient le soldat au désordre, avait été bien vite et sévèrement réprimé. Les zouaves, le 2e léger et le 47e restèrent seuls dans Constantine, sous l’autorité supérieure du général Rullière ; le chef de bataillon Bedeau, de la légion étrangère, fut nommé commandant de place.

En même temps que ces premiers essais d’une organisation régulière, des soins autrement urgens et sacrés occupaient le général en chef et l’état-major. Quand on eut déblayé des cadavres qui les encombraient la maison du khalifa et la caserne des janissaires, on y transporta les blessés ; il y en avait plus de cinq cents ; mais dans les salles ensanglantées, sans portes ni fenêtres, tout manquait. On fit une réquisition de matelas, de tapis, de sacs de laine pour les plus malades, de paille et de foin pour les autres. Ceux qu’on ne pouvait pas voir sans un sentiment de compassion mêlé d’horreur, c’étaient les brûlés ; fort heureusement, on trouva dans les magasins du bey des balles de coton et de la toile. Le coton servit aux pansemens ; de la toile on pouvait faire des chemises; où trouver des couturières? Il y avait dans le harem d’Ahmed une cinquantaine de femmes, peu accoutumées assurément aux travaux d’aiguille, mais qui, sous la direction des cantinières de l’armée, se mirent tant bien que mal à l’ouvrage, de sorte qu’au bout de quelques jours les pauvres blessés eurent des chemises et, ce qui les faisait rire entre deux douleurs, des chemises cousues par des odalisques.

Les morts avaient reçu les derniers adieux de leurs camarades. Sur le nécrologe de l’assaut de Constantine, la liste des officiers était longue, et, de toutes les armes, c’était le génie qui en comptait le plus. Une cérémonie d’un grand caractère honora leur sépulture. Avant que les cercueils fussent descendus dans la fosse, excepté celui du général de Damrémont, qui devait être ramené en France, ils reposèrent, au pied de la brèche, sous un catafalque en sacs à terre gardé par le 11e de ligne, dont le général en chef, tué à l’ennemi, avait été colonel ; et toute l’armée défila devant ce monument simplement héroïque.

Le 17 octobre, le colonel Bernelle arriva de Bône avec le jeune prince de Joinville, venu trop tard pour partager les dangers et la gloire des vainqueurs de Constantine. Le colonel amenait un convoi de ravitaillement escorté d’un bataillon du 26e et de deux bataillons du 61e; malheureusement, il amenait aussi, dissimulé insidieusement dans les rangs de la colonne, le choléra, dont naguère le 12e de ligne avait apporté le germe à Bône et à Mjez-Ahmar. Le mal éclatant