du tout, si ce n’est pour les musulmans. Le sultan était maître de la terre comme représentant de Dieu et vicaire du prophète. Dans la Grèce libre, chacun se vit avec une sorte d’étonnement maître chez soi : ni un particulier, ni un administrateur, ni un chef militaire, ni l’état, ne pouvaient plus exercer un droit d’éviction contre personne. Ainsi, le cultivateur sentit qu’il pouvait améliorer son champ, l’agrandir, défricher, planter, mettre en rapport, avec la certitude que le fruit de son travail lui resterait et passerait à ses enfans. Il put envoyer sa femme et ses filles travailler à son champ, sans craindre de les voir insultées ou enlevées pour quelque harem. Bien plus, quand les troupes musulmanes quittèrent le pays et qu’un gouvernement chrétien fut établi, les propriétaires musulmans, pris de peur, se mirent à vendre à vil prix leurs propriétés, qui passèrent alors entre les mains des Grecs : c’était une crainte chimérique, car ceux qui restèrent s’en trouvèrent bien et furent plus heureux que sous le régime ottoman. La loi nouvelle, fondée sur les principes de la révolution française, ne faisait acception ni des doctrines ni des personnes. Elle changeait entièrement les conditions du travail ; elle en laissait tout le fruit à son auteur. Comme elle garantissait aussi les héritages, elle créait entre les pères et les enfans un lien permanent et des rapports de famille, que le régime ottoman avait sans cesse troublés.
Ce que nous disons ici du cultivateur, il faut le répéter pour le marchand et le propriétaire urbain, pour le négociant et le marin, et pour l’étranger établi dans le pays. Tout ce que chacun d’eux possédait se trouvait sous la protection de la loi et de la puissance publique. Il ne faut donc pas s’étonner si l’agriculture, le commerce, la marine, la banque, en général toute la production et les échanges, ont pris en Grèce un si rapide développement, et si la population s’est notablement accrue : tous ces effets sont dus à la sécurité dont on a joui depuis le départ des Turcs. L’égalité dans la servitude avait servi de préparation à l’égalité dans la liberté et le droit commun.
Toutefois, il est juste de dire que l’égalité de fait ne dura pas longtemps. À l’intérieur, les propriétés territoriales, très divisées au sortir de la guerre, parce que l’état avait distribué des terres restées sans possesseur, tendirent à se grouper dans un plus petit nombre de mains. Beaucoup de gens des campagnes n’avaient pas l’argent nécessaire pour mettre leurs terres en valeur ; ils ont emprunté à des banquiers, à des usuriers qui ont profité de leur détresse, qui ont prêté sur hypothèque à des taux exorbitans, qui n’ont pas été payés et qui ont légalement évincé l’emprunteur. Ainsi de petits propriétaires sont devenus fermiers, et des remueurs d’argent, qui n’avaient jamais cultivé un champ, sont devenus de riches