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traces non-seulement dans les attitudes passagères, mais dans cette sorte d’attitude permanente qui est la forme des traits. Ceux qui vivent de la même vie, ceux dont les cœurs ont toujours battu du même battement, finissent souvent par acquérir un type commun de physionomie. C’est ainsi qu’on a vu quelquefois, entre mari et femme, se développer une certaine ressemblance de visage. Les animaux, qui résistent moins que l’homme à leurs passions de race, les expriment fidèlement dans leurs organes et leurs attitudes. Les hommes, à leur tour, reproduisent en eux les divers types de l’animalité : on l’a remarqué cent fois, telle figure rappelle le renard, l’autre le loup, le tigre, le lion. La nature humaine, dit M. Maudsley, contient et renferme la nature animale ; le cerveau d’une brute habite dans le cerveau humain, et chez quelques personnes les traits du visage trahissent l’espèce à laquelle appartient l’animal intérieur. Les diverses races d’hommes offrent par cela même des différences de physionomie et, dans une même race, les diverses nations finissent par avoir une expression particulière qui les révèle[1].

En prenant les choses en gros, on peut dire, avec M. Mantegazza, qu’il y a en Europe une mimique expansive et une mimique concentrique. La première se rencontre chez les Italiens, les Français,

  1. M. Warner s’était trouvé en wagon avec un Français, un Italien, un Irlandais, un Écossais et un Espagnol. «Leurs physiques, nous dit-il, leurs gestes différens, tout était caractéristique. » Mais M. Warner ne donne aucun détail. M. Mantegazza, lui, fait à sa manière le portrait des diverses nations. Voici d’abord celui qu’il trace de ses compatriotes. « Le culte et l’amour ardent du beau sont des vertus qui nous appartiennent; notre honte est d’avoir été contraints d’obéir pendant des siècles; c’est pour cela que notre mimique, tout en étant belle et passionnée, reste défiante et n’est pas toujours franche... Le Toscan est le plus Italien de tous les Italiens, et, par conséquent, le plus défiant et le plus réservé de tous; le Napolitain fait avec les bras des gestes de télégraphe; le Romagnol est rude et franc; le Romain, dans ses mouvemens digne de la statuaire, garde toujours gravées en caractères invisibles les lettres fatidiques S. P. Q. R. (Senatus Populus Que Romanus). » — « La mimique du Français, ajoute M. Mantegazza, est excentrique au sens physiologique, c’est-à-dire expansive, rapide et gaie. » Déjà Lavater avait dit que « la physionomie du Français est ouverte, qu’elle annonce tout de suite mille choses agréables. » — « Le Français ne sait pas se taire, ajoute Lavater, et quand sa bouche se ferme, ses yeux et les muscles de son visage continuent de parler. Bien que son visage soit très particulier, il est difficile de le décrire. Aucune nation n’a des traits moins marqués en même temps qu’une si grande mobilité. Le Français exprime tout ce qu’il veut par sa physionomie et ses gestes ; aussi se reconnaît-il au premier coup d’œil et ne peut-il rien cacher. » — « La mimique de l’Anglais, selon M. Mantegazza, est fière et dure, celle de l’Allemand lourde, bienveillante et toujours disgracieuse. L’Espagnol et le Portugais gesticulent peu : leur visage reste impassible, un peu par suite de l’influence asiatique, mais surtout pour ne pas compromettre leur dignité d’hidalgo. Beaucoup de peuples slaves ne regardent pas volontiers en face et ont une mimique très fausse. Les Juifs ont une mimique embarrassée et timide. La faute n’en est pas à la race juive, mais à nous, qui l’avons persécutée pendant tant de siècles avec une piété si évangélique. »