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chute d’une petite pièce de monnaie, suffiront pour altérer sa hauteur et sa symétrie. Cette flamme ne fait aucune réponse aux voyelles o et u, ni aux labiales, mais elle répond énergiquement aux consonnes sifflantes. Si vous prononcez ce vers :


Le jour n’est pas plus pur que le fond de mon cœur,


elle reste impassible ; mais si vous lui dites :


Pour qui sont ces serpens qui sifflent sur vos têtes?


sa lumière s’évanouit presque. Comme un être vivant, elle tremble et s’affaisse sous un sifflement ; elle rampe et se brise, comme en agonie, si on crispe une feuille de métal, bien que le son soit alors si faible que nous l’entendons à peine ; elle danse en cadence la valse jouée par un instrument ; enfin elle bat la mesure au tic-tac d’une montre. Les moindres vagues que le son produit dans l’air, même à une assez grande distance, peuvent ainsi trouver en elle une expression visible et comme vivante. Que sera-ce donc pour cette flamme intérieure et infiniment plus subtile qui s’allume, invisible, dans un cerveau humain? Là, toute idée tendant à se réaliser, l’idée seule des émotions d’autrui devient elle-même une émotion. Chaque être alors, grâce à la pensée, ne vit plus seulement de sa vie individuelle : il vit de la vie sociale. Si même il est assez intelligent pour concevoir l’idée de l’univers, il vit de la vie universelle. Ainsi tendent à se produire, avec le désintéressement, la moralité et l’art. Notre moralité est tout ensemble une expression visible de notre personnalité propre et du degré d’impersonnalité auquel nous sommes parvenus : nos actions sont les signes de nos idées et de notre vouloir. L’art est une autre forme du même principe. L’expression spontanée des sentimens dans nos organes est déjà un art spontané, identique à la nature même; l’art supérieur, qui finit aussi par s’identifier à la nature, est expressif selon les mêmes lois que nos organes; il fait rentrer dans des liens de sympathie non-seulement tous les hommes, mais les animaux, les plantes, les objets mêmes qu’on prétend être sans vie, en un mot l’univers. Et c’est l’art qui a raison. La science ne saisit que les rapports extérieurs et mécaniques qui relient les êtres; l’art va au cœur des choses et, par l’expression sympathique, il nous met en communication avec ce qu’il y a de nous-mêmes dans les divers êtres de la nature, — De nous-mêmes et aussi de tous les autres. Plus vrai que la science même, l’art nous enlève l’illusion de l’égoïsme et nous donne le sentiment de notre identité fondamentale avec l’univers.


ALFRED FOUILLEE.