dans sa pensée de livrer ses chiens ; un berger prudent ne donne pas au loup une telle marque de confiance. Il a dit seulement : « Taisez-vous, tenez-vous tranquilles; j’entends rester le juge souverain de mes intérêts. »
Au surplus, après tant de mortifications patiemment endurées, pouvait-il se refuser à sa fortune et à la revanche qu’elle lui offrait? Le plus puissant gouvernement de l’Europe, qui avait recouru naguère à sa médiation pour se réconcilier avec l’Espagne, la réclamait de nouveau pour en finir avec ses difficultés intérieures. On l’avait traité de souverain étranger ; on se ravisait, on venait à lui, on lui disait : « Nous avons de grands embarras, venez à notre secours, usez de votre ascendant, de votre autorité sacrée pour que nos élections marchent à souhait, pour que nous obtenions du suffrage universel le parlement que nous désirons. Non, vous n’êtes pas un étranger, vous êtes de la maison; aidez-nous à rétablir la paix dans notre ménage. » Quelle occasion de montrer à l’Europe tout ce que peut encore la papauté dépouillée de sa royauté temporelle et l’action qu’exerce dans le monde l’auguste prisonnier du Vatican! Quelle leçon pour les gouvernemens faibles qui croient pouvoir se dispenser de tout ménagement et de tout égard en traitant avec le saint-siège! Quel avertissement pour les étourdis qui se flattent de régler les affaires de conscience par des coups de force! Un journal progressiste de Berlin racontait à ce sujet, sous forme d’apologue, qu’un des grands de la terre avait perdu un précieux anneau, qui lui était plus cher que la vie. Pour le retrouver, il mit en campagne ses fils et ses serviteurs; dans la chaleur de leur zèle, ils allaient, couraient partout, se rendant à charge à beaucoup de gens par leurs plaintes, par leurs cris, par leurs bruyantes réclamations. Mais un jour, le maître leur dit : « Paix! ne cherchez plus et modérez vos cris. On m’a promis de me rendre mon anneau; si on me manque de parole, vous recommencerez à crier. » Voilà, selon le journal berlinois, le précis exact de ce qui vient de se passer entre sa sainteté et le parti du centre.
On connaîtrait mal M. de Bismarck si l’on supposait qu’il lui en a coûté de recourir à l’assistance du saint-père pour arranger ses affaires domestiques, et qu’il tient le moindre compte des criailleries des libéraux qui lui reprochent l’énormité de son action. Il a toujours regardé les discussions de principes comme des disputes oiseuses, il n’a jamais réglé sa conduite sur des idées abstraites, qu’il traite de thèses académiques. Il possède au suprême degré le génie des affaires, et il n’y a pour lui que des affaires dans ce mondes; s’agit-il d’un faire une bonne, il n’aurait garde de consulter au préalable les scrupules de ce que Saint-Simon appelait la gent doctrinale. De même que jadis il était prêt à faire alliance avec la révolution pour écraser l’Autriche, il s’est allié avec le saint-siège pour se défaire d’une majorité qui le