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Saint-Lazare, c’est parce qu’à ses diverses attributions la vieille geôle joint encore celle d’être dépôt des condamnées. Les femmes sur lesquelles s’étend l’œuvre à la fois protectrice et réparatrice que je compte étudier dans ses origines et dans son action sont ou ont été, pour la plupart, justiciables de la police correctionnelle. C’est le menu fretin du méfait féminin de Paris, très souvent condamné cependant, car le magistrat devant lequel le délit défile avec ses mille variétés et ses constantes récidives est moins sujet à l’émotion que le jury. Il peut se rencontrer, par suite d’un de ces incidens imprévus que la vie à outrance de Paris multiplie, qu’une femme bien élevée, riche et d’éducation sérieuse soit emportée par la passion et commette un de ces actes auxquels ni la police ni la justice ne peuvent rester indifférentes ; mais ces cas sont rares, et le plus souvent les sentimens violens, les mauvais instincts sont dominés par la timidité native ou par l’empire de la retenue acquise. Le diable n’y perd rien, mais du moins le scandale public est évité. Dans les couches sociales inférieures, il n’en est plus ainsi : les défaillances sont nombreuses, peu combattues, excusées, sinon encouragées par l’exemple, suscitées bien souvent par la misère, et, — j’ose le dire, — presque justifiées par l’abandon, par la brutalité, par la lâcheté de l’homme qui se soucie peu de la femme et la réduit parfois aux nécessités les plus aiguës. Ce que les faux ménages ont fourni de cliens aux chambres correctionnelles dépasse toute mesure et prouve que l’absence de moralité a des conséquences d’autant plus graves qu’elle sévit dans les classes infimes de notre société. Si, sur les hauteurs, elle est de nul effet, dissimulée et sans résultats sérieux, elle devient redoutable par les suites qu’elle entraîne aussitôt qu’elle tombe dans les bas-fonds où grouille le monde de la misère.

Dans ce monde si nombreux à Paris, toujours renouvelé par les envois de la province, la femme est maintenue en état de servage : bête de somme, bête à plaisir, bête de travail; l’homme la prend, la quitte, la reprend, la renvoie au gré de sa fantaisie ; il l’astreint au labeur, se fait nourrir par elle, la démoralise pour s’amuser, lui enseigne l’art de boire, l’associe à ses débauches tant qu’elle est jeune et la rejette à la borne dès que la vieillesse, — si hâtive aux existences déréglées, — l’a touchée de son doigt. Lorsque de malheureux petits êtres sont issus de ces unions illégitimes et tourmentées, c’est la mère qui en porte le fardeau ; l’homme a bien autre chose à faire, en vérité, que de s’occuper de la marmaille. Elle dit comme Martine : « j’ai quatre pauvres petits enfans sur les bras ; » on lui répond comme Sganarelle : « Mets-les par terre. » Elle se lamente, elle pleure, elle dit : «J’aime mieux mourir! » On lui crie : « Eh bien! crève donc! ce sera un bon débarras ! »