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appartient actuellement à Mme Caroline de Barrau, qui trouve une auxiliaire d’une intelligence et d’une bonne volonté rares dans Mme Isabelle Bogelot, à laquelle la partie active du travail est réservée. Dans l’ensemble, elle représente un pouvoir exécutif qui, en presque toute circonstance, a le droit d’initiative. Ses cheveux prématurément blancs indiquent qu’elle est dans l’âge qui amène l’expérience, affaiblit les illusions, permet de contempler les choses avec clairvoyance et laisse à l’âme toute sa chaleur. C’est elle qui visite les détenues, avant et après le jugement, écoute leur histoire, démêle la vérité au milieu des mensonges dont on l’enveloppe, réveille les courages endormis, montre un avenir meilleur si l’on veut résolument saisir le travail, et bien souvent fait rentrer l’espoir dans des cœurs qui n’en avaient plus. Elle n’a qu’une devise : à tout péché miséricorde, et elle tend une main sérieuse, une main solide aux malheureuses à qui une première chute fait croire qu’elles ne pourront jamais se relever. Elle rappelle ces moines hospitaliers du moyen âge, qui allaient à travers les villes pestiférées chercher et ramasser les mourans qu’un souffle de vie animait encore. J’imagine qu’elle a reçu bien des confidences, plus que les avocats, plus que les confesseurs mêmes, et que ces confidences lui ont appris que l’on a raison de dire qu’il ne faut jamais désespérer de la conversion du pécheur. Elle n’adresse point de reproches, elle sait que ce serait inutile; à quoi bon revenir sur un fait accompli ; elle tente d’émouvoir les sentimens qui subsistent encore ; au milieu des cendres, elle cherche l’étincelle d’où le feu jaillira encore. Sa longue pratique des femmes déchues lui a enseigné qu’il n’est âme si perverse qui ne conserve dans ses replis secrets ce je ne sais quoi de mystérieux où la dignité humaine subsiste. Dans l’âme rien ne meurt, mais tout peut s’endormir; il ne s’agit parfois que de réveiller: tâche exquise et délicate où, bien mieux que les hommes, les femmes excellent. On ne promet rien, ni faveurs, ni grâce, ni récompense; mais seulement le travail, le devoir et l’effort sur soi-même. Le but de la société a été nettement formulé : « Préserver la femme en danger de se perdre, et fournir aux libérées, sans distinction de culte ni de nationalité, le moyen de se réhabiliter. »

Quoique parmi les membres de la société et du conseil d’administration je compte bien des hommes, l’œuvre est surtout une œuvre féminine; les femmes y dominent et, fait digne de remarque, presque toutes appartiennent à la bourgeoisie ; la cotisation est des plus minimes : 5 francs par an, ou 100 francs une fois donnés. C’est faire le bien au plus bas prix, et c’est surtout prouver que l’on n’accorde de secours en argent qu’à la dernière extrémité, car l’on est sage, on est prévoyant, et l’on veut éviter que les aumônes ne