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raconter. L’escalier est étroit, gondolé, sans sécurité et s’arrête au troisième étage ; trois ou quatre chambrettes carrelées servent de bureau; il se peut qu’il y fasse chaud en été, mais au mois de janvier, on y gèle; en revanche, la vue y découvre le pont Neuf, la Seine et les quais. Ouvert tous les jours de huit à dix heures du matin, les mardis et vendredis de deux à quatre heures de l’après-midi, le secrétariat est souvent visité par les pauvres femmes qui sortent de prison ou ne savent que devenir. Mille quatre cent douze malheureuses s’y sont présentées pendant l’année 1886. Le personnel qui vient frapper à la porte hospitalière varie bien peu ; il est fourni par le vol, l’escroquerie, le vagabondage et la mendicité; moralement il est dénué, physiquement il est misérable. Pour l’accueillir, le réconforter, s’en occuper avec persévérance, il faut quelque courage et savoir conserver ses illusions quand même. On n’y parvient pas du premier coup ; il est nécessaire de passer par un certain stage, car tout s’apprend, même la pitié. Dans ce monde multiple par ses variétés, uniforme dans sa conduite, qu’entraîne le dérèglement de l’imagination et que fait osciller l’absence de volonté, la province fournit un contingent considérable. Là, comme partout où il s’agit de délits et de misère, je constate, une fois de plus, que Paris est en minorité; les départemens lui envoient leurs mendians, leurs voleurs, leurs filles, leurs déclassés de toute sorte, qui y vivent comme en terre conquise et lui valent sa mauvaise réputation. Le crime, la débauche, l’émeute de Paris se recrutent parmi les provinciaux, qui mettraient sans scrupule la civilisation à sac, parce qu’ils n’ont point rencontré dans « la capitale, » dans l’eldorado de leur rêve, la fortune, la situation, les jouissances qu’ils s’étaient promises. Ils s’imaginent qu’ils sont des incompris et des persécutés, alors qu’ils sont des incapables que l’on ne réussit pas à utiliser, quoiqu’ils se croient aptes à tout, précisément parce qu’ils ne sont propres à rien. Dès qu’une fille de campagne sait démêler ses cheveux et faire son lit, elle se figure qu’elle est femme de chambre ; dès qu’elle a fait bouillir des pommes de terre dans de l’eau salée, elle se croit cuisinière ; alors elle part pour Paris où l’on gagne de si gros gages ; bien souvent c’est Saint-Lazare qui reçoit ces pauvres créatures que leur ignorance et leur sottise ont entraînées loin du pays natal. Les statistiques officielles dénoncent cette énorme proportion provinciale. En 1883, les prévenues et les condamnées gardées à Saint-Lazare sont au nombre de 4,768, sur lesquelles on compte 494 étrangères, 925 Parisiennes et 3,318 femmes venues des départemens. A ceci nul remède: celles que l’on rapatrie de force reviennent; celles qui se font rapatrier volontairement s’ennuient au village, ne peuvent plus se plier aux