comptent sur une possession tranquille, si on leur donne le moyen d’exporter leurs récoltes, de perfectionner leurs méthodes de culture, d’entrer en relations avec des consommateurs, des marchands, c’est-à-dire que tout en légiférant il faut encourager le travail indigène et l’immigration des Européens, des Français surtout, percer des routes, ouvrir des ports, y attirer l’activité des échanges, exploiter les richesses naturelles, mines, sources, forêts, assainir les villes, avoir une police, une armée, répandre partout l’instruction : et cela sans recourir à l’emprunt, sans demander même une subvention à la France.
La nouvelle administration a bravement entrepris de venir à bout de cette tâche ; la collection du Journal officiel tunisien nous fournit la liste de ses innovations depuis quatre ans et forme un précieux exposé de notre système actuel de colonisation ; on n’a pas manqué d’y puiser quand il s’est agi d’organiser un second protectorat dans l’extrême Orient, et l’Algérie elle-même en a fait déjà son profit.
Avec cette série de réformes intérieures s’ouvre une nouvelle période de notre occupation, la période, nous ne dirons point pacifique, le mot serait trop beau, mais laborieuse, celle de la lutte d’un gouvernement débarqué de la veille contre des habitudes séculaires et les illusions des nouveau-venus, de la lutte pour l’égalité dans un pays où le privilège était la règle, où la plupart des immigrans français arrivaient en croyant que ces privilèges seraient maintenus et même augmentés à leur profit.
Nous avons parlé des résistances que nous opposèrent les étrangers, résistances que les avantages immédiats de notre occupation ont fait cesser très vite ; en réalité, la terre doublant de valeur, le travail abondant, ils gagnaient beaucoup au protectorat ; des escouades de Maltais et de Marocains, qui comprennent et parlent tant bien que mal l’arabe de Tunis, arrivaient par tous les bateaux; plus nombreux encore, les Siciliens, les Calabrais. Les Maltais, catholiques fervens, plus attachés à la croix qu’au drapeau, se groupaient autour du cardinal Lavigerie, leur véritable souverain, et multipliaient les protestations de sympathie pour la France, sa patrie. Les Italiens, plus positifs, firent d’excellentes affaires : les plus pauvres s’engageaient comme terrassiers, vignerons; les plus riches achetaient des terrains à Tunis et dans les principales villes de la régence en prévision de la hausse qui devait infailliblement résulter de notre occupation et les revendaient jusqu’à dix fois leur valeur : en un mois (août 1886), 102 de leurs bâtimens, de faible tonnage il est vrai, entrent à La Goulette, tandis que ceux de la France et des autres nations n’y sont ensemble qu’au nombre de 36 ; le nombre total de leurs navires dans les divers ports