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en Tunisie depuis des années, mais encore faut-il que nous nous donnions quelque peine pour ne pas compromettre cet héritage ; nous serions non-seulement coupables, mais bien maladroits, de ne pas faire à notre tour le moindre effort pour le conserver.

A l’époque de notre arrivée dans la régence, les enfans maltais allaient à n’importe quelles écoles, pourvu qu’elles fussent tenues par des frères et des sœurs ; les Italiens choisissaient les leurs, qui sont bonnes, ou celles qui donnent la meilleure éducation. Les Israélites étaient admirablement pourvus par leur « Alliance universelle. » Nous nous sommes empressés, suivant le système qui nous a si bien réussi en Tunisie sur d’autres points, de nous servir de ce que nous avions sous la main. Avec un éclectisme sage, sans aucun amour inopportun pour la symétrie, on a laissé les sœurs de Saint-Joseph de l’Apparition réunir à leurs frais dans leur maison près d’un millier d’enfans maltais et italiens auxquels elles ne parlent qu’en français. Les dames de Sion instruisent aussi, sans distinction d’origine, les jeunes filles catholiques de la bourgeoisie tunisienne. Le collège Saint-Charles, fondé par le cardinal Lavigerie, à Tunis, contient 240 enfans et prépare les plus âgés à notre baccalauréat. Les frères de la Doctrine chrétienne, dans des immeubles à eux, entassent encore bien plus d’enfans de toutes couleurs que les sœurs. — L’alliance israélite, dont nous parlions à l’instant, répand ses écoles dans toute la régence ; celle de Tunis seule contient plus de 1,200 élèves. — Grâce à ces auxiliaires précieux qui ne coûtent rien à notre gouvernement, la langue française s’est déjà substituée à l’italien, qu’on parlait beaucoup avant l’arrivée de nos troupes.

Dans les villes où le clergé n’avait rien créé, nous avons ouvert des écoles laïques. Des cours publics et gratuits de français sont faits, depuis peu de temps, aux adultes musulmans ; le nombre des auditeurs qui s’y sont déjà inscrits est de plus de 300, la plupart étudians de l’université, de futurs prêtres, l’aristocratie intellectuelle de la régence. Chez ceux-là comme chez tant d’autres, dans toutes les classes, ni fanatisme, ni parti-pris, ni rancune : il a suffi de trois ou quatre années d’observation de leur part et de prudence de la nôtre pour que la défiance ait fait place à un sentiment tout différent, je ne dirai pas le désir de nous être agréable, ni la reconnaissance, ni même la sympathie, mais la sécurité, l’espoir de n’être plus indignement exploités, de voir le propriétaire semer sans crainte et récolter son orge, vendre ses moutons, payer ses ouvriers, s’enrichir enfin et enrichir ses semblables sans cesser d’être musulman.

La fiction du protectorat aura rendu ainsi service à tout le monde : aux Français, en les dispensant de constituer une administration