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je crains. — Et pourquoi? qu’avez-vous à perdre? Cela diminuera vos passions, qui sont vos grands obstacles. Quel mal vous arrivera-t-il en prenant ce parti ? Vous serez fidèle, honnête, humble, reconnaissant, bienfaisant, sincère, ami véritable. Je vous dis que vous aurez gagné en cette vie; qu’à chaque pas que vous ferez dans ce chemin, vous verrez tant de certitude de gain que vous reconnaîtrez à la fin que vous avez parié pour une chose certaine, infinie, pour laquelle vous n’avez rien donné. » Et enfin : « Si ce discours vous plaît, et vous semble fort, sachez qu’il a été fait par un homme qui s’est mis à genoux auparavant et après pour prier cet Être infini et sans parties, auquel il soumet tout le sien, de se soumettre aussi le vôtre pour votre propre bien et pour sa gloire, et qu’ainsi la force s’accorde avec cette bassesse. » C’est-à-dire qu’au prix de cette bassesse s’acquiert la force divine.

Par ces paroles, a-t-il voulu dire, comme on l’a cru, qu’il faut renoncer, pour se livrer à des pratiques toutes matérielles, à son intelligence, celui qui, non content de faire lui-même de la pensée un si merveilleux usage, a dit que l’homme tirait toute sa dignité de la pensée, et que par elle il était plus grand que l’univers? Il a voulu dire, comme en effet il l’a dit ailleurs, qu’en fait de religion, comme il s’agit, en définitive, d’arriver à ce but que Dieu remplisse une âme toute pleine d’elle-même, et qui par là surtout lui résiste, le moyen qui nous rapproche le plus d’un tel but est de briser par l’humilité sa rébellion. Qu’on y emploie, selon les temps et selon l’état des idées, des pratiques plus ou moins empreintes déjà de la conception finale à laquelle elles sont faites pour préparer, l’essentiel est ce principe que c’est par les humiliations qu’on se dispose aux inspirations. Humilité, et, par là, inspiration, c’est, selon Pascal, tout le christianisme.

Dans les religions antiques, on voulait aussi entrer en communication avec Dieu. C’était également le but suprême des philosophies. Mieux informé de leur histoire, Pascal ne les eût pas réduites à deux systèmes seuls, remplis l’un de l’idée de la grandeur de l’homme sans Dieu, et l’autre de sa bassesse. Pourtant, dans de grands systèmes qu’il connaissait peu, parmi tout ce qu’il aurait rencontré, comme saint Augustin, de vues analogues à celles du christianisme, il aurait remarqué avec lui une lacune considérable. J’y trouve tout, disait saint Augustin, sauf Jésus crucifié. Le christianisme eut ce trait tout particulier d’une conscience plus profonde et plus vive qu’on ne l’avait eue jamais du mal moral, source première de tout autre, et, par suite, d’une conscience plus profonde et plus vive qu’on ne l’avait eue jamais du véritable bien. A un sentiment plus fort du vice de l’égoïsme répondit alors un plus