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de métal et de verre, et borné au fond par la façade en biais de Saint-Eustache, où pâlit, à mesure que le jour se lève, le cadran lumineux de l’horloge... Et, avant celui-ci, un autre tableau a occupé la scène : un paysage parisien et nocturne. C’est l’avenue de la Grande-Armée, qui monte de la Porte-Maillot à l’Arc-de-Triomphe, encaissée entre deux rives de hautes maisons, obscurcie encore sous le ciel noir par des rangées d’arbres parallèles, pointillée d’une double ligne de becs de gaz dont les globes vont en diminuant vers le fond : n’est-ce pas par cette avenue que la procession des maraîchers défile, partie de Nanterre et de Courbevoie, roulant vers les Halles?.. Et du plein air des Halles, ensuite, nous voilà transportés dans l’intérieur d’une charcuterie, et même dans l’arrière-boutique : rien n’y manque, ni l’état, ni les fourneaux, ni les chaudrons fumans, ni les jambons suspendus, ni les festons de saucisses, ni les dentelles de tripes... N’est-ce pas là de quoi amuser notre goût du spectacle et contenter notre zèle pour l’exactitude? N’est-ce pas enfin l’essai d’une sorte particulière de drame populaire et contemporain?

Cependant M. Zola, naguère, s’obligeait par cette déclaration : « Il s’agirait surtout d’augmenter l’illusion, en reconstituant les milieux, moins dans leur pittoresque que dans leur utilité dramatique. » Et il ajoutait : « Le milieu doit déterminer le personnage. » Il voulait dire par là que, dès le lever du rideau, on aurait « une première donnée sur les personnages, sur leur caractère et leurs habitudes. » Or, aujourd’hui, j’entends qu’on reproche à ses décors d’être purement pittoresques et parfaitement inutiles au drame; et j’entends qu’il use de sa plus grosse voix, de sa plus grande colère, pour démentir cette accusation : c’est là justement sa querelle avec M. Sarcey.

M. Zola, évidemment, proteste avec naïveté : il se souvient de son roman et de la manière dont il l’a conçu. Plusieurs fois, il s’est promené dans les Halles accompagné de M. Paul Alexis, et il s’est écrié : « Le beau livre à faire avec ce gredin de monument ! Et quel sujet vraiment moderne !.. Je rêve une immense nature morte...» Mais la nature « morte, » précisément, le génie de M. Zola lui défend de la reproduire : à peine l’a-t-il vue, il la « rêve, » et dans son rêve il l’anime. Il n’est pas naturaliste, oh ! non, — quoi qu’il en revendique le titre, — à la façon de ces observateurs qui « ramassent des insectes; » mais il est naturaliste à la façon de nos premiers aïeux, qui adoraient les forces de la nature. Les Halles, pour lui, ne sont pas un assemblage inerte de briques et de pierres, de fer et de vitres : c’est « le ventre de Paris, » ou plutôt c’est tout un animal, un monstre civilisé. Cet objet qu’il a regardé, il l’aime, il l’échauffe, il l’émeut; il le sent qui vibre à son approche, par sympathie. Lorsqu’il monte sur le toit des Halles, je veux dire sur leur dos, lorsqu’il louche leurs nervures métalliques, il croit caresser leur échine, et il ne doute pas que les Halles n’en soient bien aises ; et s’il aperçoit