sa qualité, qu’il la décline souvent, et que ses interlocuteurs, à tout propos, la lui donnent, comme les valets donnent leur titre aux gens titrés. En effet, Numa n’est pas seulement du Midi, mais il sait qu’il en est, il le déclare, et tout le monde, autour de lui, le répète ; c’est son refrain favori, et les échos ne lui manquent pas. La précaution est bonne ; mais. le moyen de celer un peu longtemps qu’elle a été conseillée par un invisible et silencieux compère ? Il n’est pas naturel qu’on se délivre à soi-même tant de certificats d’origine ; il faut même une convention pour qu’on en reçoive par tous les courriers. Ces quatre lettres, « MIDI, » se projettent continuellement sur la poitrine de Numa ; c’est tantôt lui qui tient la lanterne magique, et tantôt un camarade : elle passe de main en main, toujours dirigée vers le même but : comment ne pas deviner que c’est M. Daudet qui la prête et qui a pris soin de l’éclairer ? Ainsi la comédie tourne à la satire, qui nous procure une moindre illusion. Et si ingénieuse que soit cette satire, si spirituelle, ou même si aimable, elle risquerait, à la longue, étant seule, de nous intéresser médiocrement ; il est heureux qu’un drame s’y joigne, qui entretient l’attention et anime la sympathie.
Ce drame était dans le roman : c’est le débat engagé entre une âme de Midi et une âme du Nord, entre Numa et sa femme, la véridique Rosalie. De ce côté-là, l’imagination ou la faconde, — C’est tout un, — à la fois sincère et trompeuse ; la sensualité à fleur de peau, exposée à toutes les occasions ; l’amour enfin, mais l’amour sans attachement unique et sans conscience, toujours prêt à la trahison et naïvement infidèle. Et, de ce côté-ci, l’amour encore, mais combien différent ! L’amour qui n’est que raison passionnée, chasteté ardente, loyauté scrupuleuse, don entier d’une personne, en retour duquel est exigée l’entière possession d’une autre. Il suffit qu’entre ces amours passe un objet de caprice : l’homme cède à la tentation, il offense étourdiment la femme ; elle souffre et ne se résigne pas. Son bonheur entamé, elle en rejette le reste, que son mari s’obstine à lui rapporter. Elle pardonne, à la fin, sans illusion, elle pardonne au père de son fils : — Elle a cette joie mélancolique de donner la vie un être qui, lui aussi, sera un homme !
Voilà un conflit de caractères et de sentimens, une crise où la destinée de deux créatures se résout ; voilà donc un drame : sans l’assistance de personne, M. Daudet a su le dégager du récit. Et jamais peut-être il n’avait si bien montré cet esprit de conduite, cette fermeté, cette autorité sur soi-même et sur son sujet, qui sont nécessaires au dramaturge. Il n’a pas fait l’école buissonnière : et Dieu sait pourtant que ces buissons, disposés jadis par sa fantaisie aux abords de la route, offraient d’amusantes fleurettes ! Il n’a pas gravi, cette fois, la colline parfumée de Valmajour ; il ne s’est pas penché vers la source émoustillante d’Arvillard-les-Bains ; il n’est pas allé au Château Bavard,