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menaçant en Irlande. Le « plan de campagne, » qu’on a appelé une illégalité, est suivi tous les jours par les fermiers et par la ligue. Le gouvernement a voulu poursuivre devant le pays les députés chefs de l’agitation, le jury s’est hâté d’absoudre les députés. Des évêques ont prêché ouvertement le refus de l’impôt, on ne peut rien contre eux. Les autorités elles-mêmes, les autorités anglaises envoyées dans l’île, se sentent impuissantes, désarmées, devant une résistance et des violences dont tout un pays est complice.

Comment remédier à cette situation? Il faut que la loi reprenne son empire, dit lord Salisbury, il faut que le gouvernement retrouve son action, qu’au besoin il demande au parlement une force nouvelle, des mesures plus énergiques et plus décisives 1 Le ministère a voulu commencer par vaincre l’obstruction irlandaise dans la chambre des communes; il a proposé un nouveau règlement parlementaire qu’on discute encore à l’heure qu’il est, et naturellement les Irlandais conduits par M. Parnell font tout ce qu’ils peuvent pour embarrasser et prolonger la discussion : ils épuisent jusqu’au bout les dernières ressources de l’obstruction ! Le gouvernement finira par avoir le dernier mot, sans nul doute; le nouveau règlement qui simplifie la procédure parlementaire sera voté par beaucoup de libéraux aussi bien que par les conservateurs. C’est une difficulté écartée, soit. Que fera-t-on cependant le lendemain? que proposera-t-on? Lord Salisbury, assurément, ne déguise rien dans son dernier discours au club conservateur de Londres. Il déclare sans détour que l’Angleterre ne peut satisfaire les ambitions nationales de l’Irlande et s’exposer à « s’attacher au flanc une communauté hostile. « Il trouve que jusqu’ici, dans les conseils du gouvernement, on a montré trop de douceur et on n’a employé que des « remèdes à l’eau de rose, » qu’on n’écartera pas les dangers redoutables du jour avec des sentimens de ce genre et avec de l’optimisme, que des devoirs plus rigoureux s’imposent aux hommes publics. Il dit tout particulièrement qu’on ne peut pas vivre avec des jurés qui refusent d’aider le gouvernement à faire respecter les lois, qu’il « faut rendre les procès par le jury efficaces ou abolir le jury! » Le programme de la coercition est complet. Malheureusement, c’est là toujours la vraie question. Tant que le ministère parlera de défendre l’unité de l’empire britannique ou qu’il se bornera à réprimer des désordres matériels, il aura l’appui des libéraux séparés de M. Gladstone; le jour où il ira plus loin, où il touchera notamment à la garantie traditionnelle du jury, les libéraux refuseront vraisemblablement de suivre lord Salisbury, de reprendre avec lui la politique des répressions sans fin et sans mesure qui n’ont jamais servi à rien, qui n’ont réussi qu’à enflammer les passions et les ressentimens de l’Irlande en irritant ses plaies. De sorte qu’on n’est pas plus avancé qu’au moment de la chute de M. Gladstone, que l’Angleterre reste plus que jamais