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expliquer comment la position a été jugée susceptible de défense dans d’aussi mauvaises conditions ; comment, à une aussi grande distance de Mila, au milieu d’un pays tout à fait inconnu, un corps français a été abandonné à lui-même par la colonne qui s’éloignait, sans prévoyance suffisante d’une attaque que tant de signes devaient faire juger inévitable et prochaine. » Toutes ces observations étaient justes; mais le ton d’aigreur qui les assaisonnait s’expliquerait, sans doute, par la méchante humeur du général Bernard, menacé d’avoir à céder son portefeuille, à qui? Au maréchal Valée lui-même.

Le 6 décembre 1838, voici la lettre que le comte Molé adressait au gouverneur : « C’est en sortant d’un long entretien avec le roi que j’ai l’honneur de vous écrire ; l’objet de cette lettre doit rester profondément secret. Je vous demande avec instance de permettre qu’elle ne soit connue que de vous, et quelle que soit la réponse que vous y aurez faite. Le cabinet va traverser une nouvelle épreuve ; je ne doute pas qu’il n’en sorte avec un plein succès ; cette épreuve, c’est la discussion de l’adresse. Dès que l’adresse aura été votée selon nos vœux, l’intention du roi est que M. le général Bernard, dont la santé donne, depuis quelques mois, de sérieuses inquiétudes, soit remplacé dans le poste éminent et laborieux qu’il occupe d’une manière honorable depuis plus de deux ans. Le roi, monsieur le maréchal, s’unissant à la voix publique et à celle de l’armée, désire vivement que vous acceptiez cette nouvelle marque de sa confiance. S’il m’est permis de parler ici de mes sentimens personnels, je dirai que depuis longtemps je ne vois, je ne connais que vous, monsieur le maréchal, qui soyez à la hauteur d’une tâche aussi difficile que celle qui vous est offerte ; mais il fallait vous enlever à celle que vous terminez en ce moment d’une façon si glorieuse. Le moment est arrivé où vous pourrez, comme ministre de la guerre, confirmer et féconder ces établissemens que votre main vient d’asseoir sur des bases durables. » Cette lettre du président du conseil se recommandait d’une autorité plus haute encore, de la parole du roi même. Le même jour, 6 décembre, Louis-Philippe écrivait au gouverneur : « Mon cher maréchal, c’est avec mon plein assentiment que le comte Molé vous écrit. J’ai connaissance de ce qu’il vous mande, et c’est de tout mon cœur que je vous demande d’y acquiescer. Je conçois que ce soit pour vous un grand sacrifice que de quitter cette terre d’Afrique où vous avez fait tant de bien et acquis tant de gloire; mais des intérêts plus élevés me portent à vous le demander, et en acceptant le poste nouveau auquel ma confiance est disposée à vous appeler, vous ajouterez un nouveau titre à tous ceux que vous avez déjà et à tous les sentimens que je