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sultan quand tu n’étais encore qu’un enfant ; je ne sais donc ce que tu viens faire chez moi. Je comprendrais ton langage si tu venais me demander des secours pour soutenir ou mener la guerre sainte ; mais, loin de là, après avoir traité avec les infidèles, tu viens tourner tes armes contre de vrais musulmans qui n’ont jamais rien eu de commun avec toi. Tu crois trouver de faibles femmes, je te montrerai des lions ; et que le sang qui sera versé retombe sur ta tête ! »

Entourée d’une ceinture de palmiers, semblable aux autres ksour du Sahara, la ville paraissait émerger d’une corbeille de verdure. L’enceinte, de forme elliptique, comme le mamelon qui la portait, renfermait une belle mosquée, la kasba, demeure de Tedjini, et quelque trois cents maisons ; la muraille, flanquée de tours carrées, haute de 8 à 10 mètres, épaisse de 4, portait un chemin de ronde crénelé ; un mur en pisé de cinq mètres de haut, également flanqué de tours et percé de meurtrières, formait une première ligne de défense autour des bouquets de palmiers et des jardins, arrosés par les eaux de la source d’où la ville tirait son nom ; cinq puits creusés dans le sol du mamelon suffisaient aux besoins des habitans et des Arabes du dehors venus à leur aide ; ils étaient ensemble de huit à neuf cents, bien pourvus d’armes, de munitions et de vivres. Dès qu’Abd-el-Kader eut reconnu la force de la place et la disposition résolue de ses défenseurs, il fit porter à tous ses khalifas l’ordre de lui envoyer sans retard du canon et des renforts. Le 1er  juillet, il reçut quatre pièces de petit calibre, suffisantes pour ouvrir le mur extérieur, et, dès le lendemain, il donna le signal de l’attaque. Le mur franchi, les jardins furent occupés, non sans peine ni sans perte, car les assaillans n’eurent pas moins de quatre-vingts tués et de cent quatre-vingt-cinq blessés. La première brèche n’avait pas été difficile à faire ; mais comment pratiquer la seconde, à travers l’épaisse muraille qui protégeait la place ? De treize pièces successivement arrivées et mises en batterie, deux canons de 12 étaient seuls capables de produire quelque effet. Un déserteur de la légion étrangère, un Hongrois, eut la direction de cette artillerie ; le secrétaire français d’Abd-el-Kader, M. Léon Roches, était l’ingénieur du siège. Le 4 juillet, la batterie fut démasquée ; mais avant que le canon eût entamé profondément la maçonnerie, il ne restait plus un seul des huit cents boulets amenés ou envoyés de Takdemt. Il fallut attendre les mortiers promis par le sultan de Maroc et les bombes offertes par le maréchal Valée.

Les Arabes, gens de coup de main, ne sont pas faits pour les longues affaires ; quand ils voient la fin de leur petit sac de farine et de la poignée de dattes qu’ils ont apportée dans un coin de leur