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et ses drapeaux, accompagnés d’un chapelet d’oreilles, furent envoyés triomphalement au général. Quand les travaux de Djémila furent assez avancés pour mettre à couvert la garnison qu’on y laissa, la colonne se dirigea vers Sétif, où El-Mokrani s’établit sous la protection temporaire du bataillon turc et de quelques compagnies du 23 de ligne; après quoi le général Galbois reprit, avec le reste de ses troupes, le chemin de Constantine par la plaine des Abd-en-Nour. A peine avait-il quitté ces parages qu’Abd-el-Salem y reparut, avant-coureur d’un plus grand que lui. Sous prétexte d’honorer les restes des saints vénérés par les Kabyles, Abd-el-Kader fit savoir au gouverneur qu’il se proposait de visiter, sans appareil militaire, les marabouts des Zouaoua. On l’y vit en effet paraître au mois de juin; appelé par Amziane, il vint distribuer des burnous d’honneur aux cheiks les plus hostiles à la France. Des murailles de Bougie, on put voir flotter au vent son drapeau rouge et les fanions distinctifs de son escorte. A l’approche du lieutenant-colonel Bedeau, qui sortit aussitôt de la place à la tête d’une petite colonne, l’émir se hâta de se mettre au retour par le col de Tizi. Avait-il lieu de se féliciter beaucoup de cette course? Les Kabyles, gent méfiante, l’avaient reçu avec respect, mais sans enthousiasme. Elle eut néanmoins pour effet certain l’évacuation de Sétif, qui n’était pas encore un poste défendable, et la retraite d’El-Mokrani au profit d’Abd-el-Salel. Il est vrai que, deux mois après, l’apparition du colonel Gueswiller dans les mêmes parages y rétablit encore une fois, au bénéfice de l’influence française, cet équilibre instable que l’occupation définitive de Sétif pouvait seule affermir. Au retour, sur le territoire de Djémila, le colonel fut assailli par une bande kabyle ; mais l’intervention du caïd Bou-Akkas, très respecté dans la montagne, suffit pour mettre fin au combat. Il ne déplaisait pas à ce chef orgueilleux de laisser tomber la paix des plis de son burnous aussi facilement qu’aurait pu s’en échapper la guerre.

En résumé, l’état des affaires, dans la province de Constantine, était satisfaisant, et le maréchal Valée avait le droit d’écrire, le 20 juillet, à Paris: « Je crois le gouvernement du roi trop juste pour se refuser à apprécier la différence des résultats obtenus dans cette province, où, en moins de deux années, plus de mille lieues carrées ont été soumises ta la France, tandis que, depuis près de dix ans, on lutte vainement dans les autres pour la possession tranquille et tout à fait improductive pour l’état de quelques lieues de territoire qu’on a voulu se réserver. »