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qu’on fût en droit de parler d’hérédité, il faudrait que ces enfans eussent été soustraits à l’influence de leurs parens, et cela dès le premier âge ; car ceux qui se sont occupés de l’éducation des enfans, non pas en philosophes, mais en pères, ceux-là savent combien les habitudes morales se contractent de bonne heure chez ces petits êtres, et comment le sentiment de la conscience se développe avec les premières et vacillantes lueurs de la raison. Il faudrait, comme dans les romans de Ducray-Duminil, que chacun de ces enfans, enlevé dès le berceau, eût été confié à une famille honnête et élevé dans l’ignorance de son origine et de ses parens. Si, malgré ces précautions, la majorité de ces enfans s’était retrouvée néanmoins dans les colonies correctionnelles, alors l’expérience serait concluante. Mais tant qu’elle n’aura pas été faite, il demeurera parfaitement arbitraire d’expliquer par l’hérédité ce qui doit être beaucoup plus vraisemblablement porté au compte du milieu ou de l’éducation.

Ce n’est pas tout : sur les 8.227 enfans dont je parlais tout à l’heure, 6,65û sont nés de parens honnêtes. A quelle cause faut-il donc attribuer leurs méfaits? A leur propre nature apparemment. Or, comme ce sont de beaucoup les plus nombreux, l’hérédité, au lieu d’être la loi, devient l’exception. Mais il est vrai qu’on fait intervenir ici une forme mystérieuse de l’hérédité : l’atavisme. On sait que certaines anomalies physiques, ou même certaines particularités, après avoir disparu chez les représentans d’une race pendant trois ou quatre générations, se reproduisent parfois, bien que très rarement, chez la cinquième. Il en serait de même des anomalies ou des particularités morales; de telle sorte que si, en étudiant la généalogie d’un de ces petits voleurs, on retrouvait, à la quatrième ou cinquième génération, un ancêtre qui eût volé, ce serait son influence héréditaire qui se serait exercée fatalement, et en dépit de lui-même, sur ce malheureux. Or, comme il est rare que l’arbre généalogique des petits voleurs soit dressé avec tant de soin, on peut toujours supposer au hasard l’existence d’un ancêtre malfaiteur, et voilà comme on établit que l’hérédité est une loi. Il faut être animé d’un singulier mauvais vouloir contre la liberté morale pour faire ainsi argument contre elle de la moindre coïncidence, pour en supposer même, et pour expliquer par un fait d’atavisme moral les défaillances d’un être qu’il est infiniment plus plausible de porter au compte de sa propre nature et des circonstances de sa vie. Mais lorsqu’on veut à toute force établir une loi, il faut bien répondre aux faits qui semblent contraires à cette loi, et il n’y a pas d’explication, si forcée qu’elle soit, qui ne semble alors admissible.

L’objection est bien plus forte encore en ce qui concerne l’hérédité