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de l’instruction comme moyen de moralisation. En réalité, c’est une arme. Elle vaut ce que vaut le soldat qui la manie.

Au surplus, et à supposer même qu’il fallût accorder à ces trois explications de la criminalité, la conformation physique, les prédispositions héréditaires et, dans un autre ordre d’idées, l’ignorance, une influence supérieure à celle que je suis disposé à leur reconnaître, il est presque superflu de faire remarquer que ces trois causes ne sauraient en rien rendre compte de l’accroissement des crimes et des délits. Rien ne donne lieu à supposer, en effet, qu’il naisse un plus grand nombre d’individus présentant le type de l’homme criminel aujourd’hui qu’il y a cinquante ans. Rien non plus ne donne à croire que l’influence de l’hérédité soit devenue plus puissante, et que les enfans ou petits-enfans d’un malfaiteur aient moins de chance d’échapper à cette influence occulte. Quant à l’ignorance, elle tend progressivement à disparaître. Aucune de ces explications, à les supposer fondées, ne saurait donc rendre compte de l’accroissement de la criminalité. C’est à d’autres causes qu’il faut demander l’explication de cet accroissement, à des causes morales, parce que les causes morales sont les seules qui expliquent les grands faits humains. Il est impossible de nous soustraire en terminant à la nécessité d’entreprendre la recherche de ces causes.


III.

Bien qu’il y ait nécessairement quelque chose d’un peu factice et arbitraire dans toutes ces divisions, on peut cependant assigner trois mobiles différens à la criminalité : les passions, les vices et les besoins. On peut porter au compte des passions toutes les infractions qui sont commises sous l’influence de quelque mouvement impétueux de la nature : haine, colère, amour, surexcitation des sens. On peut porter au compte des vices ceux qui sont engendrés par la perversité habituelle des penchans ou des habitudes : cupidité, paresse, alcoolisme. Enfin on peut porter au compte des besoins celles qui sont la conséquence d’une condition sociale misérable. Mais il est impossible de faire entre ces trois mobiles la répartition des nombreuses infractions relevées par la statistique judiciaire, car la nature même d’une infraction n’en révèle pas la cause déterminante. Un assassinat peut avoir pour mobile la haine ou la cupidité; un vol, la cupidité ou la misère; un fait de mendicité, la misère ou la paresse. Mais en recherchant dans quelle mesure la civilisation agit sur ces trois mobiles de la criminalité, nous arriverons peut-être à résoudre en partie cette question que nous avons soulevée de l’influence de la civilisation sur la criminalité elle-même.