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Le second acte est un bijou. Il a été acclamé le soir de la première représentation; on a même fait relever le rideau pour réentendre l’ensemble final. Par ce temps de recherches inquiètes, de théories débattues et rebattues sur le rôle réciproque au théâtre, de la musique et du drame; dans l’œuvre d’un maître aussi moderne que M. Saint-Saëns, aussi préoccupé des problèmes actuels et aussi capable de les résoudre, n’est-il pas singulier, et significatif, que la musique profite précisément d’un arrêt du drame, d’un tableau isolé, presque inutile, pour triompher à elle seule, la vieille musique, belle seulement de sa beauté propre et riant des systèmes et des chimères? D’un bout à l’autre, cet acte du couvent est exquis, embaumé d’innocence, de charité, de pureté virginale, et de cette paix qu’on ne respire que dans les cloîtres. C’est ici un cloître particulier, peuplé de jeunes filles. Ah! je comprends qu’on leur revienne, aux jeunes filles, après les filles; surtout à des jeunes filles comme celles-là! Hélas ! pourquoi faut-il que ce soient des jeunes filles d’opéra comique ? Serait-ce à nous autres hommes maintenant que ce genre, innocent jadis, voudrait monter la tête? Il n’a jamais produit plus mignons nonnains. Tout se tient dans ce second acte; tout y garde le même ton et la même teinte; tout y participe du même recueillement et de la même sérénité. Dans le préau fleuri, sous les vieux platanes, on ne fait que le bien, on ne dit que de douces choses. De jolies voix de femmes y prient la Madone, de jolies mains y font l’aumône aux malheureux, et deux fiancés s’y parlent d’amour; tout cela sans bruit, presque tout bas, avec une grâce discrète. Le prélude indique déjà la pieuse tranquillité du couvent. Son balancement cadencé, l’égalité de son rythme, la fraîcheur de sa mélodie annoncent des âmes jeunes et pures. Un petit Ave Maria finement écrit dans le style ancien, et coupé de verset en verset par des reprises très heureuses du prélude, rend l’impression de plus en plus pénétrante. Voie les jeunes filles; elles entourent Angiola et lui parlent, avec une affectueuse curiosité, de son mariage. Leurs voix s’étagent par groupes harmonieux. Angiola répond avec beaucoup de tendresse, avec un peu de tristesse aussi, notamment dans une phrase adorable :


Trop de jours sont passés, l’espérance est flétrie;
Mon frère, je le comprends bien,
Ne veut pas que je me marie.


Au contraire, le voici, le grand frère, amenant le fiancé. Charmante est la déclaration de Sabatino à Angiola. Un joli contre-chant d’alto, puis de hautbois, suit le contour élégant de la mélodie; voilà bien l’amour qu’inspire une enfant, un amour respectueux, heureux et presque étonné de se sentir si pur, de savoir s’exprimer dans un couvent.