Amneris et Radamès commencent en duo, duo d’inquiétude et de jalousie, agité, haletant. Aïda s’avance, et le duo devient trio : le même dessin reprend à l’orchestre, et le même dialogue entre les deux partenaires de tout à l’heure. Mais la partie d’Aïda est toute différente. De longues notes, admirablement tenues par la Krauss, disent l’amour de la pauvre fille, et sa calme douleur contraste avec le trouble des deux autres personnages. Quelle variété dans cette inspiration! Quelle différence entre la romance de Radamès et le monologue d’Aïda: Vers nous reviens vainqueur! Il ne fallait plus ici exprimer un sentiment unique et uni, une tendre espérance, mais le combat d’une âme partagée entre l’amour et le patriotisme. Verdi l’a fait, non pas avec un air, mais avec des phrases diverses parfaitement appropriées aux nuances successives de la pensée.
Il suffit aujourd’hui de saluer au passage les beautés retrouvées d’Aïda: le duo des deux femmes et le prodigieux finale du second acte. Je ne sais si jamais triomphera l’école qui défend à plusieurs personnes de chanter ensemble; mais elle aura fort à faire pour démolir un édifice musical comme celui-là. Il y a dans cette scène colossale de la musique pour tout un opéra; les idées ne s’y comptent pas; elles éclosent, elles éclatent partout avant de se réunir dans un ensemble formidable. On dirait un immense tableau brossé par un Véronèse musicien. Ce n’est pas très distingué, objectent les difficiles; mais on ne dirait peut-être pas non plus des Noces de Cana: c’est très distingué.
Après cette éblouissante journée, ce ruissellement de soleil, comme on goûte les bienfaits de la nuit, et de quelle nuit! Quelle impression de clair de lune en sol majeur! écriraient les savans de la musique. Voilà de quoi les confondre. Toute leur science nous expliquera-t-elle comment ces trépidations suraiguës des violens, cette quinte obstinée, cet unisson de voix lointaines, comment tous ces minces moyens produisent un effet pareil, donnent la sensation presque visuelle d’un paysage nocturne et d’un paysage d’Orient? Il vaut mieux avouer humblement son ignorance devant les mystérieuses émanations du beau, et, quand on respire une fleur, au lieu de chercher quels élémens la composent, dire avec Perdican : Je trouve qu’elle sent bon, et voilà tout.
Il sent bon, tout ce troisième acte. Un silence embaumé flotte sur la rêverie d’Aïda frissonnante, sur le trémolo des flûtes limpides; des appels de hautbois montent lentement à travers la nuit et redoublent l’impression de la solitude et de la paix. Il n’y a plus rien à dire des deux duos qui se suivent, de la puissante progression de l’acte tout entier. L’homme qui a trouvé la plainte d’Aïda prosternée, avec la fameuse montée des violens et des violoncelles, la fulgurante