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de son arrivée à Munich, empreint d’une bonhomie touchante, mais mêlé de détails puérils peu dignes de préoccuper une âme héroïque, n’atteste aucune défiance de ce genre. Il s’y étend avec complaisance sur le bon accueil qu’il reçut à Ludwigsbourg, chez le duc de Wurtemberg, le bel appartement qu’il y a occupé, le bon chocolat qu’on lui servit, les précautions qu’il prit, cependant, pour ne déroger en rien à l’étiquette impériale ; puis, le bonheur qu’il éprouva à serrer dans ses bras les membres de sa famille, qui ne l’avaient pas suivi dans son exil ; enfin, les larmes qui coulèrent de ses yeux an bruit du canon, des cloches et des acclamations dont Munich tout entier retentissait sur son passage. Cette page est la dernière de ce curieux document intime, et le triste réveil qui allait suivre cette confiance exagérée n’a pas même permis de l’achever[1].

Ce que Charles avait prévu, en effet, et ce qui aurait dû l’arrêter au lieu de le pousser imprudemment en avant, ne pouvait manquer d’arriver. Le 7 novembre, après un assaut qui avait failli manquer comme les autres et qui fut encore plus meurtrier, Fribourg, à bout de vivres et de munitions, finit par se rendre, et la soumission de toutes les possessions autrichiennes riveraines du Rhin, qu’on appelait l’Autriche antérieure, suivit sans difficulté. C’était un assez maigre résultat d’un si grand effort ; mais les troupes françaises étaient trop épuisées, la saison trop avancée et Louis XV trop pressé de s’en retourner à Paris pour qu’une nouvelle campagne fût possible. Le secours promis à Frédéric se borna à quelques détachemens envoyés pour fortifier le corps auxiliaire français, commandé par le marquis de Ségur et qui servait déjà sous les ordres de Seckendorf, le gros de l’armée allant prendre ses quartiers d’hiver avec Maillebois sur les bords du Bas-Rhin. Et ainsi, cette campagne, commencée avec tant d’éclat, se termina, laissant le prestige des armes françaises de nouveau compromis par la peine que leur avait coûtée un succès aussi léger qu’insignifiant, tandis que l’Autriche se remettait de son trouble et que les deux alliés de la France, Frédéric devant Prague et Charles VII à Munich, l’un se plaignant hautement, l’autre ne se doutant de rien, demeuraient dans une situation également précaire et menacée. Ce qui, plus encore que la fatigue de l’armée et la rigueur de la saison, rendait toute nouvelle entreprise, pour l’heure présente, impossible, c’était l’incertitude de la politique qui allait désormais présider aux résolutions du cabinet français. Depuis que la maladie du roi avait visiblement affaibli chez lui la faculté de travail et d’attention qui n’avait jamais été très grande, aucun de ceux qui le

  1. Journal de Charles VII, p. 137-140.