Podewils avait raison : l’effet était déplorable, même en Europe, et suffisant pour faire mettre en oubli tout ce qu’on avait espéré ou craint du héros de la veille. Les gazettes de Hollande et de Londres étaient pleines de railleries et d’invectives, où non-seulement ses talens, mais son courage même, étaient mis en doute. On y parlait couramment de sa présomption et de sa poltronnerie. J’ai sous les yeux une caricature anglaise qui représente Marie-Thérèse faisant avaler à son rival un flacon d’eau de Hongrie, qui opère sur l’estomac du patient avec toutes les conséquences d’un vomitif et d’un purgatif pour lui faire rendre la Silésie et l’or français, et au-dessous on lit ces mots : « Une occupation suivie d’évacuation[1]. »
Le plus troublé peut-être, et le plus malheureux de ceux qui s’agitaient dans les conciliabules de Berlin, c’était, je suis porté à le croire, notre ancienne connaissance, le ministre de France, le gros Valori, que Frédéric, je ne sais pourquoi, ne s’était pas soucié d’emmener cette année-là avec lui en campagne. Valori s’était plaint assez vivement d’être ainsi oublié, et il n’hésite pas, dans les mémoires qu’il nous a laissés, à imputer à l’absence de ses conseils une partie des fautes commises. Au fond, peut-être, se souvenant des traitemens assez durs qu’il avait dû subir dans ce genre d’équipée, était-il moins contrarié de son inaction qu’il ne voulait le paraître. Mais quand arriva la série des mauvaises nouvelles, son alarme devint extrême. Vainqueur, Frédéric s’était montré un allié peu sûr ; mais humilié et vaincu, que serait-ce donc ?
Le moins qu’on pût attendre, c’était, à la première entrevue où il faudrait l’aborder, quelqu’une des bourrasques qui lui étaient familières, quelques scènes de récriminations amères où tous les malheurs seraient imputés à l’abandon, peut-être à la trahison de la France. Heureux encore, pensait Valori, si ces colères réelles ou affectées ne servaient pas de prétextes pour conclure encore une fois sous main, à des conditions inconnues, une paix précipitée et égoïste. — « Quel doit être, écrivait le diplomate avec angoisse, l’état d’agitation de cet esprit que les disgrâces déconcertent ? Toutes les passions, pour ainsi dire, concourent à y porter du trouble. Un grand fonds d’amour-propre et un grand esprit d’économie sont les
- ↑ (Correspondance d’Angleterre, décembre 1744. — Ministère des affaires étrangères.)