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de « l’armée du crime, du bas-fond social, du péril qui menaçait la civilisation, de la moralisation des classes pauvres, des mauvaises passions qui sapent les bases ; » on entassa lieu-commun sur lieu-commun, puis chacun retourna à ses affaires et personne n’y pensa plus.

Le danger auquel la France venait d’échapper, non sans avoir reçu plus d’une blessure profonde, était cependant de ceux qui méritent quelque méditation. La justice avait fait son devoir en frappant les récidivistes plus sévèrement que ceux dont le casier judiciaire était encore intact : la société s’écartait du criminel qui légalement était quitte envers elle, puisqu’il avait purgé sa peine ; l’état restait impuissant à subvenir à des besoins qui, pour être supportés par des gens peu dignes de pitié, n’en sont pas moins cruels. Que n’aurait-on pas dit et quelle thèse de déclamation, si le budget avait inscrit à sa dépense une somme destinée à secourir les repris de justice ? Tant d’hommes honnêtes dans la misère, abandonnés à eux-mêmes, et des criminels émargeant au trésor public comme des fonctionnaires ; la probité est donc une duperie, puisque le vice reçoit une prime d’encouragement, une sorte de pension de retraite après avoir fait son temps de prison ? On entend d’ici les plaintes de la moralité et les dissertations de la philosophie. On ne fit rien, on ne tenta rien en faveur des libérés, que la surveillance de la haute police maintenait alors dans des résidences déterminées, où le plus souvent ils ne trouvaient point d’ouvrage et retombaient en récidive. Cercle vicieux : les précautions prises pour sauvegarder la société créaient un péril pour elle. La question a toujours été mal envisagée ; il ne s’agit point de faire du sentiment et de se lamenter sur un pauvre assassin, ou sur un voleur infortuné, qui, presque toujours, n’est qu’un gredin de basse espèce ; il s’agit de sécurité publique et d’enlever aux délinquans le prétexte, sinon le motif de la faim. La loi récemment votée sur la relégation des récidivistes produira de bons résultats, si on l’applique d’une façon rigoureuse, et surtout si on lui donne une large extension. Tout individu qui a des habitudes pernicieuses, qui a fait, devant la justice, ses preuves d’incapacité morale, doit être mis hors d’état de nuire dans le milieu même que ses méfaits ont déjà attaqué. Il ne manque point en Algérie, au Sénégal, au Congo et ailleurs, de terrains où les libérés pourraient avoir l’indépendance de leurs actions et trouveraient à vivre. Dans bien des pays, ils peuvent être des pionniers dont le travail ou l’esprit d’aventure aurait un avenir fécond. Il y aura un siècle, dans un an, que le capitaine Philips fonda Botany-Bay avec huit cents déportés : on sait ce que l’Australie est devenue.