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que ceux-ci, retournés dans leurs diocèses, réunissent les prêtres et les abbés pour leur communiquer les décisions prises et leur en prescrire l’observation. Si l’évêque trouve dans son diocèse un abus qu’il ne puisse réformer, il doit en référer au concile, l’archevêque présent, de même que l’église romaine m’a commandé de lui signaler fidèlement tout abus que je ne pourrais redresser. Ainsi, les évêques doivent faire connaître au métropolitain, et le métropolitain au pontife romain, tout ce qui est à faire pour corriger les peuples de leurs erreurs. »

Voilà bien la pure doctrine de l’église romaine : à chacun sa place nettement marquée, ses devoirs prescrits avec précision ; à chacun son rang dans la hiérarchie ; en haut, mais rapproché du plus humble, car il n’y a que deux degrés entre le plus modeste prêtre et lui, est le chef de l’église universelle.

Le pape a regardé faire avec admiration cet utile serviteur. Il l’a comblé de tous les honneurs ; il l’a recommandé aux évêques, aux princes, aux peuples comme le messager qui vient de la part de saint Pierre. Il entretient avec lui une correspondance suivie, répond à toutes ses questions, et, sans se fâcher, essuie ses boutades ; car le légat, s’il est le fils humble et soumis de l’église romaine, n’entend point que le pontife se dispense ou dispense qui que ce soit des règles établies. On lui a conté que, tandis qu’il applique avec rigueur en Germanie la prohibition du mariage entre parens, le pape a autorisé un laïque de haut rang à contracter une de ces unions qui est un crime abominable. On lui a dit encore que des barbares qui sont allés en pèlerinage au tombeau des apôtres ont vu, tout près de saint Pierre, les Romains célébrer les calendes de janvier par des danses, des chants païens et des repas de jour et de nuit ; parmi ces orgies, des femmes vendaient des philtres d’amour et des bracelets magiques : serait-ce vrai ? Boniface veut le savoir et il le demande au pape lui-même. Est-il vrai encore que le pape ait autorisé des évêques, adultères et fornicateurs endurcis, à continuer leur ministère épiscopal ? Est-il possible enfin que le successeur de saint Pierre exige de l’argent des évêques auxquels il envoie le pallium, et qu’il tombe ainsi dans l’hérésie de Simon le Magicien ? Franchement et rudement, Boniface, ce chrétien du Nord, sérieux, sombre, dur aux autres comme il est à lui-même, interroge le seigneur apostolique et le prie de s’expliquer. Le pape se défend avec douceur, affirme qu’il n’a pas commis tous ces crimes, et redouble les expressions de sa bienveillance, de son affection et de sa gratitude.

Il connaît à merveille le caractère de son légat, il le ménage, le réconforte, le rassure contre lui-même. D’étranges dialogues s’engagent entre ces deux prêtres, l’un toujours difficultueux et dont