nombre, et plus proche encore de la Saxe, où aucune église et pas même une chapelle n’était consacrée aux martyrs. Nous ne savons d’ailleurs ni pourquoi les princes francs ont contrarié les désirs de Boniface, ni quels étaient au juste ces désirs. Préférait-il garder sa qualité de légat universel sans se renfermer dans une province ? Il croyait avoir reçu de l’église romaine mandat de corriger les erreurs des peuples, quels qu’ils fussent, et telle lettre écrite par lui à un roi anglais pour lui reprocher sa conduite fait penser à ces leçons de morale que les grands papes du moyen âge distribuaient de si haut entre les princes de la chrétienté. Peut-être aussi l’âme inquiète de Boniface aspirait-elle toujours vers la solitude pour s’y recueillir, s’examiner, s’apaiser dans l’extase ou se châtier par le remords. Il ne se plut pas dans sa ville épiscopale. Ses lettres sont plus tristes que jamais :
« Priez pour moi, dit-il à ses sœurs Léobygite, Thécla et Gynégilde. Je suis le dernier et le pire des légats que l’église catholique, apostolique et romaine a envoyés pour prêcher l’évangile. Priez afin que je ne demeure pas stérile et que je ne retourne pas vers celui qui m’a envoyé sans un cortège de fils et de filles. Priez pour que le Seigneur ne m’accuse pas d’avoir caché le talent qui m’a été confié. Priez pour qu’il ne me donne pas, au lieu d’une récompense, le châtiment d’un labeur infructueux ! » Boniface regrettait-il de n’avoir pas assez travaillé à la conversion des païens, de n’avoir pas assez prêché l’évangile ? Non, sans doute, car il estimait avoir fait œuvre pie en servant l’église romaine ; et l’autorité de cette église, à laquelle il avait obéi en toutes choses et qui était incapable d’errer, le couvrait devant Dieu. Ce trouble et cette inquiétude s’expliquent par la vieillesse et par l’approche de la mort : la figure du Christ apparaissait plus terrible à Boniface, l’éternité plus menaçante. Il résolut d’assurer le « bénéfice de son âme » par le seul moyen qui fût infaillible. En l’année 755, il annonça donc à ses disciples qu’il partait pour la Frise afin de gagner la palme là où il avait fait ses premières armes. Il termina ses recommandations suprêmes par ces mots : « Préparez ce qui est nécessaire à notre voyage, et mettez dans la caisse de mes livres le linceul qui enveloppera mon corps décrépit. » Puis il alla demander le martyre aux Frisons : les Frisons le lui donnèrent.
Ainsi mourut le disciple, le légat, l’esclave, l’amant de l’église romaine. Assurément Boniface n’a pas mesuré la grandeur de son œuvre, ni soupçonné le jugement de l’avenir. Les païens de Rome et d’Athènes, qui ne connaissaient pas le mystère de la vie future, pouvaient bien concevoir l’ambition de faire durer leur nom dans la mémoire des hommes : volitare per ora virûm