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ÉTUDES SUR L’HISTOIRE D’ALLEMAGNE.


ils exercent le saint ministère. Si, par dévotion envers le Christ, vous voulez bien accorder ce que je vous demande, daignez me le faire savoir, soit par mes envoyés, soit par des lettres de votre piété. » Ce n’est pas ainsi que parlerait à un roi l’évêque qui lui aurait donné sa couronne.

Dans ses dernières années, Boniface vit relégué en Germanie. Le pape lui-même semble l’avoir oublié. La correspondance entre le légat et le saint-siège s’interrompt. Pas plus que le chef de l’état, le chef de l’église n’a consulté l’évêque de Mayence sur les choses de la politique. Rome a plusieurs fois varié avant de s’engager définitivement dans l’alliance des Francs ; elle a essayé de s’entendre avec les Lombards ; elle a intrigué avec le duc des Bavarois : Boniface ne l’a peut-être point su, occupé qu’il était à poursuivre son œuvre ecclésiastique. À la fin, le pape a compris que son seul recours contre tous ses ennemis est dans la puissance des Francs. Non content d’avoir approuvé l’usurpation de Pépin, il se décide à se rendre auprès de lui pour le sacrer de ses propres mains et pour implorer son assistance. Il passe les monts. C’était chose inusitée et singulièrement grave que ce voyage du successeur des apôtres. L’Italie et la Gaule en furent émues, non sans raison, car dans cette entrevue du pontife et du roi des actes furent accomplis et des résolutions furent prises, dont les effets devaient se faire sentir pendant des siècles. Il y eut autour du pape un grand concours de princes, d’évêques, de seigneurs et de peuple : le pape n’appela point auprès de lui son légat ; Boniface ne quitta point Mayence. C’était en 754 : le vieux missionnaire pensait au linceul.

Cependant Boniface a fait, sans le savoir, de la politique, de la grande politique, et je doute si, dans la foule des princes, des héros, des fondateurs d’empire et des personnages historiques, vingt hommes se rencontrent dont les actions aient été aussi considérables et d’aussi durable conséquence que celles de ce moine. Il a représenté le siège apostolique auprès des princes francs, dans des conciles qui étaient des diètes, où les ducs et les comtes siégeaient avec les évêques et les abbés. Devant ces guerriers qui ne savaient que la guerre, devant ces prêtres perdus dans les désordres de la vie séculière, il a ouvert et commenté le code des canons, expliqué les lois de l’église universelle, supérieure à toutes les églises et à tous les peuples. En face du temporel, orgueilleux de sa force, il a mis le spirituel, l’impalpable, l’idéal. Dans les conseils de la Germanie en armes, le légat du saint-siège a produit la majesté romaine, cette puissance étrange, faite de souvenirs incompris et d’autant plus grandioses, faite aussi d’espérances infinies, puisqu’elle tient les clés du ciel. Il a donné aux Carolingiens l’idée d’un pouvoir plus sacré que le leur, d’un gouvernement organisé, d’une