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instructions. Je n’ai pas redouté de t’agrandir davantage et je me suis porté ta caution auprès du roi des Français. — Tu ne risques rien à le faire ; nous avons une religion et des mœurs qui nous obligent à tenir notre parole ; je la tiendrai mieux que les Français ; je n’y ai jamais manqué. — Je compte là-dessus, et c’est à ce titre que je t’offre mon amitié particulière. — j’accepte ton amitié ; mais que les Français prennent garde à ne pas écouter les intrigans, comme a fait le général Trézel. — Les Français ne se laissent conduire par personne. Je te recommande les Coulouglis qui resteront à Tlemcen. — Tu peux être tranquille, ils seront traités comme des alliés fidèles. — As-tu ordonné de rétablir les relations commerciales autour de toutes nos villes? — Non, mais je le ferai dès que tu m’auras rendu Tlemcen. — Tu sais que je ne puis te le rendre que quand le traité aura été approuvé par mon roi. — Tu n’as donc pas le pouvoir de traiter? — Si, mais il faut que le traité soit approuvé. — Si tu ne me rends pas Tlemcen, comme tu me le promets dans le traité, je ne vois pas la nécessité de faire la paix, ce ne sera qu’une trêve. — Cela est vrai, cela peut n’être qu’une trêve ; mais, à cette trêve, c’est toi qui gagnes, car, pendant le temps qu’elle durera, je ne détruirai pas tes moissons. — Tu peux les détruire, cela nous importe peu, et, à présent que nous avons fait la paix, je te donnerai par écrit l’autorisation de détruire tout ce que tu pourras... Tu ne peux en détruire qu’une bien petite partie, et les Arabes ne manquent pas de grains. — Je crois que les Arabes ne pensent pas comme toi, car je vois qu’ils sont bien désireux de la paix, et quelques-uns m’ont remercié d’avoir ménagé les moissons depuis la Sikak jusqu’ici. » Ici, continue le général, il a souri d’un air dédaigneux, ce qui voulait dire qu’il se souciait fort peu de la perte des récoltes, et, changeant de conversation, il m’a dit : « Combien faut-il de temps pour avoir l’approbation du roi de France? — Il faut trois semaines. — C’est bien long. » Dans ce moment, son khalifa Ben-Arach a pris la parole et dit : « c’est bien long, trois semaines ; il ne faut pas attendre cela plus de dix à quinze jours. — Est-ce que tu commandes à la mer? — Eh bien! dans ce cas, a repris Abd-el-Kader, nous ne rétablirons les relations commerciales qu’après l’arrivée de l’approbation et lorsque la paix sera définitive. — C’est à tes coreligionnaires que tu feras le plus de tort, car nous recevons par la mer tout ce qui nous est nécessaire, et c’est eux que tu priveras de commerce. »

La conférence avait duré quarante minutes. A la fin, le général Bugeaud se leva; l’émir ne bougea pas. Croyant voir dans cette affectation de rester assis, quand lui était debout, une intention de s’attribuer aux yeux des siens la préséance, le général lui fît dire par l’interprète : « Quand un général français se lève devant toi.