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leur bravoure, dans la crainte que ces éloges n’accréditent l’opinion très fausse, très dangereuse, qu’un mauvais sujet, un homme adonné à toute sorte de vices, peut être un bon soldat et mérite alors la même considération et les mêmes récompenses. »

Cinq semaines après l’affaire de Mazagran, le 12 mars, 300 ou 400 Arabes viennent, sous le canon du camp de Misserghine, menacer les troupeaux des Douair. Le lieutenant-colonel des spahis d’Oran, Jusuf, qui commande le camp, sort avec 250 de ses hommes, quatre compagnies du 1er de ligne, sous les ordres du chef de bataillon Mermet, et deux obusiers de montagne. Les spahis s’avancent sur un large front dans la plaine, suivis de deux compagnies déployées en tirailleurs ; les deux autres en colonne forment la réserve. A leur approche, les Arabes se retirent et les attirent ; on est déjà loin du camp. Tout à coup, du ravin de Ten-Salmet, débouche à grand bruit, à grands cris, une masse de cavaliers : c’est Bou-Hamedi qui a dressé l’embuscade ; c’est lui qui va diriger le combat. La ligne trop étendue des spahis est enfoncée, coupée, mise en déroute. Les tirailleurs d’infanterie, traversés eux-mêmes, se pelotonnent par petits groupes, cinq ou six ensemble, la pointe de la baïonnette au poitrail des chevaux, et peu à peu se replient sur la réserve. Voilà quatre compagnies, 300 hommes environ, noyées dans des flots d’ennemis en rase campagne. Heureusement, quatre autres compagnies, mises en éveil par les fuyards, sont accourues du camp avec le commandant d’Anthouard. Au lieu de les laisser se former en carré comme les premières, et d’avoir ainsi deux petites redoutes mobiles échelonnées pour la retraite et flanquées l’une par l’autre, le lieutenant-colonel Jusuf a la fâcheuse idée de donner au commandant Mermet l’ordre de faire entrer dans sa formation les nouveau-venus. C’est un mouvement et c’est un moment critique d’où peut résulter la destruction des uns et des autres. Par une bonne chance, les Arabes ne savent pas mettre l’occasion à profit. Enfin, les huit compagnies forment un carré unique de 600 hommes qui rétrograde lentement, la baïonnette croisée, s’arrêtant quelquefois pour fournir des feux de salve. Après sept heures de combat, il est rejoint par quelques pelotons de spahis ralliés, par des secours envoyés d’Oran, et rentre enfin derrière les parapets de Misserghine. Si, au lieu de s’acharner uniquement sur cette faible troupe, Bou-Hamedi s’était porté en avant avec une partie de son monde, ce n’est pas le camp à peu près dégarni qui aurait pu arrêter ses ravages. Tel quel, son succès lui paraissait suffire : il emportait trente-deux têtes de spahis et neuf de soldats français ; si tous les blessés étaient tombés entre ses mains, c’eût été une centaine de têtes qu’il aurait envoyées à Mascara. Mauvaise pour le lieutenant-colonel Jusuf et pour les spahis, la journée du