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et en autorisant le mariage des prêtres, il a fait de l’église établie une institution oligarchique et un bureau de placement pour les cadets des classes supérieures et de la haute classe moyenne. — « Une fois sur deux, a dit M. Boutmy, c’est le grand propriétaire qui nomme les pasteurs, vicaires ou desservans. Ce droit lui est venu par héritage du fondateur originaire, à moins qu’il ne l’ait chèrement acheté d’un voisin ou du lord haut-chancelier. Aujourd’hui, sur 13,305 bénéfices spirituels que compte l’Angleterre, il y en a 8,151 qui appartiennent à des patrons laïques. Ce sont autant de places enviées que la gentry distribue à ses puînés, à ses créatures, n n’est-il pas naturel qu’un clergé qui se recrute exclusivement parmi les classes possédantes, en épouse avec chaleur tous les préjugés et s’entende à prêcher l’évangile sans se brouiller avec Mammon? A vrai dire, l’église anglicane a fourni à l’Angleterre quelques-uns de ses plus nobles penseurs, de ses plus admirables philanthropes. Mais, selon M. Whitman, l’exception confirme la règle, et il nous peint les prêtres anglicans comme des hommes qui se piquent d’être avant tout des gentlemen, et accessoirement les bergers d’un troupeau d’âmes. Esprits étroits et petits cœurs, pleins d’un respect superstitieux pour toutes les distinctions sociales, quelle sympathie peuvent-ils avoir pour le pauvre et que peuvent-ils trouver à lui dire?

M. Whitman nous raconte qu’il a vécu longtemps à la campagne, dans un endroit retiré où l’évangile était prêché par un digne vicaire, mort depuis, lequel ne permettait pas à ses enfans de parler l’anglais, mais les retenait à perpétuité sous la sévère discipline d’une bonne française, de peur qu’ils ne s’avisassent d’échanger leurs idées avec les enfans du village. Ce vicaire entendait que ses fils fussent de vrais gentlemen, et le contact de la pauvreté salit. Que dirons-nous d’un M. Smith, secrétaire d’une compagnie d’assurance, dont M. Matthew Arnold déplore la funeste aventure? Dévoré à la fois de deux craintes aussi vives l’une que l’autre, celle d’encourir un jour l’éternelle damnation et celle de s’engager dans de mauvaises affaires et de tomber subitement dans la pauvreté, la vie lui devint insupportable, et il se brûla la cervelle. M. Arnold ajoute que ce pauvre homme était bien de son pays et de sa classe; que nombre de philistins anglais sont également préoccupés de sauver leur âme et d’amasser beaucoup d’argent. Par bonheur, ils ne prennent pas les choses aussi tragiquement que M. Smith : l’inquiétude les engraisse.

Il faut être indulgent pour les vicaires mondains, pour les secrétaires de compagnies d’assurance qui se tuent, et, en général, pour les philistins inconséquens. Réservons nos sévérités pour les philistins hypocrites, pour les pharisiens qui ont deux morales : l’une austère, scrupuleuse, qu’ils prêchent à leur prochain ; l’autre très commode et très coulante, qu’ils destinent à leur usage particulier. Quand ils se mêlent de politique, les procédés les plus louches leur semblent bons