bouffonnant, les horreurs de la guerre, la sottise ambitieuse de Picrochole et de ses conseillers; mais pourquoi les rois de son temps, François Ier ou Henri II, eussent-ils été si sots que de se reconnaître eux-mêmes en Picrochole, plutôt qu’en Grandgousier, plutôt qu’en Gargantua, plutôt enfin qu’en Pantagruel, ces modèles de la bonhomie, du bon sens et de la modération sur le trône? Rabelaisiens ! un peu de franchise ! et surtout de mesure ! Lisez attentivement les trois premiers livres de votre Bible; rappelez-vous que le quatrième n’a paru qu’en 1552, c’est-à-dire un an peut-être à peine avant la mort de son auteur; considérez ce qui se disait, ce qui s’écrivait, ce qui s’imprimait autour de lui; et vous reconnaîtrez que, fidèle à son personnage, il n’a point passé la limite, qu’il n’a rien dit de plus audacieux que ses contemporains; — Et qu’il n’a enfin de supériorité sur eux que celle de l’abondance et de l’éclat de son imagination, de l’énormité de sa verve bouffonne, et de la force, de la puissance, de l’éloquence, de la perpétuelle invention de son style.
Il est vrai qu’il y a le quatrième et le cinquième livres : les Papefigues et les Papimanes, les Uranopètes Décrétales, l’Ile sonnante, Grippeminaud et les Chats fourrés. Mais j’avais l’occasion, tout récemment, de le dire en un tout autre sujet; c’est une question discutable et très controversée, que de savoir si le cinquième livre est de Rabelais. Car, tout d’abord, le fait est qu’il ne fut publié qu’environ dix ou douze ans après la mort de l’auteur, et que plusieurs de ses contemporains en ont nié l’authenticité. Ce qui est également certain, et en admettant que l’idée lui en appartienne, l’exécution n’en saurait être de la main de Rabelais, s’il est mort en 1553, puisqu’en effet plusieurs passages n’en peuvent avoir été écrits qu’après sa mort, et l’un d’eux seulement en 1558. On remarquera que je ne dis rien de la diversité des styles : tout le monde sait que, si l’on entrait une fois dans cette voie, il n’y a pas un de nos grands écrivains dont l’œuvre ne fût en danger d’y fondre tout entière. Qui croirait, s’il ne le savait par ailleurs, que le Poème de la captivité de saint Malc fût de l’auteur de Joconde et des Oies du frère Philippe; ou le Temple de Gnide de l’auteur de l’Esprit des lois ?
Or, des cinq livres de Rabelais, c’est ici le plus audacieux, celui qui contient contre les gens de justice et de finance, contre Rome et contre l’église, contre « le trône et l’autel » les plus violentes attaques, et non plus enveloppées, comme dans les précédens, d’allégories ou de symboles plus ou moins obscurs, mais à peine déguisées sous des fictions plus que transparentes, et presque à visage découvert. Imaginez donc, si vous le pouvez, que l’on mit en discussion l’authenticité du Tartufe de Molière, ou celle encore du Candide de Voltaire; et tâchez de mesurer à quel point Voltaire sans Candide, et Molière sans Tartuffe, différeraient d’eux-mêmes. Si le cinquième livre est