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Allemagne, ne rencontrant pas d’opposition sérieuse, fut définitivement arrêtée. Force est alors à d’Argenson de donner connaissance de la décision aux cours neutres et alliées, et c’est le sujet d’une de ces curieuses discussions dont j’ai parlé qui s’engagent par écrit entre le ministre et son premier commis. Au moment de rédiger la circulaire, Ledran, qui tient la plume, croit devoir présenter quelques observations sur les difficultés qu’il prévoit : « J’aimerais bien mieux, répond le ministre, un projet de dépêche prêt à partir cette nuit, comme on me l’a recommandé, que ces remontrances générales et contradictoires à ce qui a été ordonné hier dans deux conseils après quantité de délibérations… Il en arrivera ce qui pourra : bien, j’espère ; mais pour la paix et un armistice dans le statu quo, il n’y faut plus penser… A tout ceci, monsieur, vous voyez plus de doutes que de solutions, ce qui me donnera plus d’inquiétudes et de labeurs jusqu’à ce que vous ayez adopté l’avis du conseil. Il faut écrire à nos alliés et neutres que nous restons dans nos engagemens… que nous sommes bien affligés, que nous leur demandons conseil et que nos troupes ne sont dans l’empire que pour défendre nos alliés[1]. »

La dépêche à peine partie, on dirait pourtant que d’Argenson y a regret, car, revenant par un détour à ses vues favorites de politique expectante, il se demande si on ne viendrait pas aussi bien à bout d’éloigner l’Autrichien du trône, simplement en faisant le vide en Allemagne et en y laissant aux prises les amis et les adversaires de Marie-Thérèse, sauf à entretenir sous main leurs divisions. « Le moyen, dit-il dans une autre note (qui, cette fois, a le caractère d’un monologue), de tirer finalement quelque profit secret pour nous (de la situation actuelle) est peut-être que les partis se balancent en Allemagne. Pour faire naître ces partis et ces divisions semblables à ceux que la pomme de discorde éleva parmi les déesses, le meilleur moyen est de laisser faire : la jalousie et l’envie suffisent à la discorde, ces ressorts ne sont que trop naturels à l’humanité ! Aujourd’hui, tout s’est réconcilié à la maison d’Autriche, on a oublié ses méfaits, on a été ému de pitié pour la reine de Hongrie : on déteste ses persécuteurs ; on sent les maux qu’ils ont causés et qu’ils causent en Allemagne ; c’est que les progrès de cette discorde ont été menés un peu lourdement par notre ministère. Une conduite plus délicate serait plus efficace : ne point presser l’accouchement. La personne du grand-duc est haïe et méprisée dans l’empire. Il y aura assez de défauts à reprocher à ce dernier : son origine, sa naissance hors d’Allemagne. Faire élever des écrits en

  1. Note de d’Argenson, 20 janvier 1745. — (Correspondance d’Allemagne, diète de Francfort. — Ministère des affaires étrangères.)